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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/231

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La conversation dé l’artiste, qui lui signalait les changeantes beautés de la contrée, et surtout l’imitation, qui les concentrait, ouvrirent les yeux de Wilhelm, et le délivrèrent de tous les doutes qu’il avait nourris obstinément jusqu’alors. Les reproductions de la nature italienne lui avaient toujours été suspectes : le ciel lui paraissait trop bleu ; le ton violet des lointains ravissants lui semblait extrêmement agréable, mais sans vérité, et les diverses nuances de la verdure par trop bigarrées : désormais il s’identifiait avec son nouvel ami ; susceptible, comme il l’était, de recevoir toutes les impressions, il apprit à voir l’univers avec les yeux de son guide ; et, tandis que la nature déployait le mystère visible de sa beauté, il ne pouvait manquer d’éprouver un invincible attrait pour le bel art, son plus digne interprète.

Mais l’aimable artiste lui causa une autre surprise encore. 11 avait quelquefois entonné un chant joyeux ; il avait doucement animé et rempli par ces accents les heures paisibles de leurs longues promenades sur l’eau : un jour il trouva dans un palais un instrument à cordes tout particulier ; c’était un luth de petite dimension, sonore, harmonieux, commode et portatif. Aussitôt il accorda l’instrument avec adresse, et il en joua avec tant d’art et d’agrément, il charma si bien l’assistance, qu’il sut, comme un nouvel Orphée, amollir le sec et rigoureux concierge, et, par une douce violence, le résoudre à prêter pour quelque temps l’instrument au chanteur, à condition de le rendre fidèlement avant son départ, et de venir quelquefois, dans l’intervalle, réjouir la famille par ses chants, les dimanches et les jours de fête.

Le lac et les rives prirent dès lors une vie toute nouvelle : les bateaux et les nacelles se pressaient à l’envi sur la trace de l’esquif où voguaient nos amis. Les coches même et les barques marchandes suspendaient leur course aux environs ; les gens les suivaient à la file sur le rivage, et, s’ils débarquaient, ils se voyaient soudain entourés d’une foule joyeuse ; à leur départ, chacun les bénissait, avec une satisfaction mêlée de regrets.

Un observateur impartial eût aisément remarqué que la mission de nos amis était désormais terminée ; tous les lieux qui rappelaient le souvenir de Mignon étaient esquissés ; les uns,