Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/263

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Le lendemain, il ne manqua pas d’interroger là-dessus le grave Montan.

« Je n’ai pu, lui dit-il, te comprendre hier. Au milieu de tous ces débats et de ces discours bizarres, j’espérais entendre enfin ton avis et ta décision ; au lieu de cela, tu te rangeais tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et tu cherchais toujours à étayer l’avis de celui qui parlait. Maintenant, dis-moi sérieusement ce que tu penses, ce que tu sais là-dessus.

— J’en sais autant qu’ils en savent, répondit Montan, et je voudrais ne jamais y penser.

— Mais je vois ici une foule d’opinions contraires, et l’on dit pourtant que la vérité est au milieu !

— Point du tout ! ce qui est au milieu, c’est le problème, insoluble peut-être, peut-être aussi abordable, à condition que l’on s’y prenne comme il faut. »

Après qu’ils eurent discuté quelque temps de la sorte, Montan poursuivit, sur le ton de la confidence :

« Tu me blâmes d’avoir soutenu chacun dans son opinion : il n’en est aucune en effet pour laquelle on ne puisse trouver un argument nouveau. Par là j’augmentais, il est vrai, la confusion, mais je ne saurais réellement prendre ces gens au sérieux. Ma conviction absolue est désormais que ce qui nous est le plus cher (et ce sont assurément nos convictions), nous devons le renfermer sérieusement en nous-mêmes ; ce que chacun sait, il ne le sait que pour lui, et il doit le tenir sacret. Dès qu’il l’exprime, la contradiction s’éveille, et, dès qu’il s’engage dans la dispute, il sort de son équilibre, et ce qu’il a de meilleur en lui est ébranlé, sinon anéanti. »

Quelques objections de Wilhelm engagèrent Montan à poursuivre.

« Quand une fois on connaît la chose essentielle, dit-il à son ami, on cesse d’être causeur.

— Mais quelle est cette chose essentielle ? dit Wilhelm avec vivacité.

— C’est bientôt dit : penser et agir, agir et penser ; c’est la somme de toute sagesse, en tout temps reconnue, en tout temps pratiquée, mais que chacun ne sait pas voir. L’un et l’autre doivent se succéder incessamment dans le cours de la vie.