Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dait sur mes lèvres murmurantes ; j’accusais tout haut mon bon camarade d’avoir offensé l’amitié, d’avoir manqué à sa promesse.

Mais de plus cruelles épreuves m’étaient réservées. Quelques femmes s’élancèrent des premières maisons du village, en poussant des cris ; des enfants les suivaient, avec des gémissements lamentables ; personne ne répondait à nos questions. Nous vîmes, de derrière la maison du coin, déboucher un triste cortége ; il défilait lentement le long de la rue ; c’était comme un convoi, ou plutôt une suite de convois funèbres ; les brancards ne finissaient pas. Les cris continuaient, ils redoublaient, on accourait en foule. * Ils sont noyés, ils sont tous noyés ! » s’écriaiton. Qui ? qui donc ? Les mères qui voyaient leurs enfantsautour d’elles semblaient plus calmes. Mais un homme s’avança gravement, et, s’adressant à la femme du pasteur, il lui dit :

« Par malheur, j’ai trop tardé à revenir : Adolphe est noyé, lui cinquième ! Il voulait tenir sa promesse et la mienne. »

L’homme (c’était le pécheur lui-même) suivit le cortége. Nous restions immobiles, glacés d’effroi. Un petit garçon s’avança, présentant un sac :

« Madame, voilà les écrevisses ! »

Et il levait le sac bien haut. Cela fit horreur, comme la chose la plus déplorable. On demanda des explications, et l’on apprit que ce petit enfant était resté sur le bord pour ramasser les écrevisses, que les autres lui jetaient de la rivière. Enfin, h force de questions, on apprit qu’Adolphe était entré dans l’eau avec deux camarades exercés à cette pêche ; que deux autres, plus jeunes, s’étaient joints à eux sans être demandés, et que ni menaces ni réprimandes n’avaient pu les en détourner. Les premiers avaient presque franchi une place escarpée et dangereuse ; les derniers glissèrent, s’accrochèrent à ce qu’ils purent, et s’entraînèrent l’un l’autre, jusqu’au plus avancé, et tous furent précipités dans l’eau profonde. Adolphe, qui était bon nageur, aurait pu se sauver ; mais tous les autres se tenaient à lui avec angoisse, et il fut entraîné. Le petit garçon avait couru au village, en poussant des cris, tenant toujours à la main son sac d’écrevisses. Le pêcheur, qui rentrait enfin à ce moment, était accouru avec d’autres personnes ; on avait retiré les corps l’un