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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/277

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lorsqu’on lui abandonna ces monstres, qui rampaient les uns parmi les autres, et dont le sort ultérieur fut débattu entre elle et la cuisinière.

Pour rendre cette scène intelligible, il faut quej’ajoute quelques explications sur le caractère et les habitudes de cette femme. Envisagées au point de vue moral, les qualités qui dominaient chez elle n’avaient rien de louable ; cependant, sous le rapport civil et politique, elles produisaient plusieurs bons effets. A proprement parler, elle était avare ; elle regrettait chaque denier qu’elle était forcée de débourser, et, pour subvenir à ses besoins, elle était partout en quête de moyens accidentels, qu’on pouvait se procurer gratis, par échange ou de quelque autre façon. Les primevères étaient destinées à faire du thé, qu’elle regardait comme plus sain que le thé de Chine. Dieu avait donné à chaque pays le nécessaire, pour la nourriture, l’assaisonnement, les remèdes : on n’avait donc nul besoin pour cela de recourir aux pays étrangers. Aussi cultivait-elle, dans un petit jardin, tout ce qui lui semblait propre à rendre les mets savoureux et salutaires pour les malades ; elle ne visitait jamais un jardin étranger sans en rapporter quelque chose de ce genre.

On lui passait très-volontiers ces idées et leurs conséquences : car sa fortune, lentement amassée, devait enfin revenir à la famille. Aussi mon père et ma mère savaient-ils lui complaire et la seconder en tout.

Elle avait cependant une autre passion, une passion agissante, qui se manifestait par une infatigable activité : c’était la vanité de passer pour une personne influente et considérable. Et, en effet, elle avait mérité et conquis cette réputation ; car elle savait employer à son profit les Bavardages, d’ordinaire inutiles, souvent même nuisibles, qui circulent parmi les femmes. Tout ce qui se passait dans la ville, et aussi, par conséquent, l’intérieur des familles, lui était parfaitement connu, et il n’arrivait guère un cas difficile, dans lequel elle ne trouvât moyen de se mêler, ce qui lui réussissait d’autant mieux, qu’elle ne cherchait jamais qu’à se rendre utile ; mais elle savait par là augmenter son crédit et sa bonne renommée. Elle avait fait bien des mariages, et l’un des époux, tout au moins, en restait peut-être satisfait.