Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/280

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et concentrés en un seul foyer, et qu’on apprenne à reconnaître comment les influences les plus diverses entourent l’homme, et le poussent à une résolution qu’il n’aurait pu prendre d’aucune autre façon, ni par une impulsion intérieure, ni par une influence étrangère î

Parmi les diverses choses qu’il me reste à dire, je puis choisir celle par où je veux commencer ; toutefois cela même est indifférent : veuille prendre patience, lire, lire encore ; tu verras enfin se produire tout à coup, et tu trouveras fort naturel ce qui, si je l’avais exprimé d’un seul mot, t’aurait semblé tout à fait bizarre, au point que tu aurais à peine accordé un moment d’attention à ces préliminaires, donnés en forme d’explications.

Mais, pour abréger un peu, j’en reviendrai à cette cheville à rame, et te dirai qu’ayant retrouvé notre fidèle ami Jarno dans les montagnes, sous le nom de Montan, j’eus avec lui un entretien, que je fus entraîné accidentellement à poursuivre, pour éveiller, d’une façon toute particulière, certains sentiments. Les affaires de notre vie ont une marche mystérieuse qui ne peut se calculer. Tu te souviens sans doute de cette trousse, que votre excellent chirurgien produisit, quand tu vins à mon secours dans la forêt où j’étais gisant et blessé : elle frappa mes regards de telle sorte, et me laissa une impression si profonde, que je fut tout ravi lorsque, plusieurs années après, je la retrouvai dans les mains d’un plus jeune maître. Lui-même il n’y attachait aucune importance ; les instruments de chirurgie s’étaient perfectionnés depuis lors, et on les avait rendus plus commodes : il me céda la trousse volontiers, d’autant que l’emplette d’une autre lui en devint plus facile. Dès lors je la portai sur moi constamment, sans en /aire, il est vrai, aucun usage, mais comme un fidèle et consolant souvenir : c’était le témoin du moment où avait brillé devant mes yeux un bonheur auquel je ne devais parvenir qu’après un long détour.

Jarno vit par hasard cet objet, quand nous passâmes la nuit auprès du charbonnier ; il le reconnut aussitôt, et, sur mon aveu, il me dit :

« Je ne m’oppose point à ce que l’on garde un pareil fétiche, en souvenir de quelque bonheur inattendu, des suites impor-