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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/339

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sèrent au seigneur Dieu avec d’humbles supplications, le priant de vouloir bien faire rentrer dans le néant cette engeance impure de dragons. Et lui, qui, dans sa sagesse, ne pouvait résoudre la destruction de sa créature, il vit néanmoins avec compassion la grande détresse des pauvres nains : il créa aussitôt les géants pour combattre les dragons et, sinon les exterminer, du moins en diminuer le nombre.

« Mais, lorsque les géants eurent assez avancé la besogne avec les dragons, ils s’enflèrent à leur tour d’audace et d’orgueil, et se livrèrent à maintes violences, surtout à l’égard des pauvres nains, qui recoururent une seconde fois au Seigneur, et le Seigneur, par sa toute-puissance, créa les chevaliers, pour combattre les géants et les dragons, et vivre en bonne intelligence avec les nains. De cette façon, l’œuvre de la création fut achevée de ce côté-là, et dès lors les géants et les dragons d’une part, les chevaliers et les nains de l’autre, furent constamment unis. De là tu peux voir, mon ami, que nous sommes de la race la plus ancienne du monde, ce qui nous fait sans doute beaucoup d’honneur, mais entraîne aussi de grands maux.

« En effet, comme rien ne peut subsister éternellement dans le monde, et que tout ce qui fut grand une fois doit diminuer et se rapetisser, nous sommes aussi prédestinés à nous voir, dès la création du monde, diminuer sans cesse et devenir plus petits, et la famille royale, à ciuse de la pureté de son sang, est, plus que toute autre, soumise à cette fatalité. C’est pourquoi nos sages ont imaginé, il y a bien des siècles, d’envoyer de te-mps en temps sur la terre une princesse du sang royal, pour épouser un honorable chevalier, afin que la race des nains soit renouvelée et sauvée d’une complète décadence. »

Tandis que ma belle me parlait ainsi avec un entier abandon, je l’observais avec défiance, parce qu’il semblait qu’elle eût envie de m’en faire accroire. Pour ce qui regardait sa mignonne origine, je n’avais plus aucun doute ; mais qu’elle m’eût choisi, au lieu d’un chevalier, cela m’inspirait quelque méfiance, car je me connaissais trop bien pour me figurer que mes ancêtres eussent été l’œuvre immédiate du Créateur.