Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/390

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le lac, quand son miroir et les montagnes d’alentour s’enflamment de la pourpre du sofr, et prennent par degrés des teintes plus sombres ; que les étoiles paraissent ; que les cloches annoncent la prière du soir ; que les lumières s’allument dans les villages de la rive et se réfléchissent dans l’eau ; qu’ensuite la lune se lève et répand sa clarté sur l’onde a peine agitée ; le riche paysage fuit devant les barques ; on laisse derrière soi village après village, métairie après métairie ; enfin, sur le point d’arriver, on sonne du cor, et soudain l’on voit paraître ça et là, dans la montagne, des lumières qui descendent vers le rivage ; chaque famille qui a l’un des siens dans le bateau envoie quelqu’un chercher le bagage. Nous demeurons plus haut, mais chacun de nous a fait assez souvent cette navigation, et, pour ce qui regarde les affaires, nous avons tous le même intérêt. »

J’avais écouté avec surprise comme elle disait bien, et en termes choisis, toutes ces choses, et ne pus m’empêcher de» lui demander comment, dans une contrée si sauvage, avec des occupations toutes mécaniques, elle était parvenue à une pareille culture.

Elle répondit, les yeux baissés, avec un sourire aimable et presque malin :

« Je suis née dans une plus belle et plus aimable contrée, où demeurent et commandent des personnes de grand mérite, et, bien que, dans mon enfance, ma conduite fût sauvage et indépendante, on ne pouvait méconnaître l’influence que des maîtres éclairés exerçaient sur leur entourage. Mais ce qui produisit le plus grand effet sur mon jeune cœur fut une éducation pieuse, qui développa chez moi le sentiment du juste et de l’honnête, comme inspiré par la toute-présence de l’amour divin.

« Nous quittâmes le pays, poursuivit-elle (et le fin sourire disparut de ses lèvres, une larme furtive mouilla sa paupière), nous allâmes bien loin, bien loin, d’un pays dans un autre, conduits par des indications pieuses et des recommandations ; enfin nous arrivâmes dans cette industrieuse contrée. La maison où vous me trouvez était habitée par des personnes qui partageaient nos sentiments ; mon père parlait le même langage, dans le même esprit ; nous fûmes bientôt de la famille.

« Je m’appliquai avec ardeur à toutes les affaires de la mai-