Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/394

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douloureux pour les parents, qu’ils avaient perdu une fille peu de temps auparavant, et se trouvaient dans le plus triste abandon : ces tendres cœurs en furent si blessés, que leur vie en fut abrégée. Ils suivirent de près leurs enfants, et un nouveau malheur me surprit bientôt : mon père, atteint de paralysie, n’a fait dès lors que languir, sans aucune activité de corps et d’esprit. C’est ainsi que j’ai dù déployer, dans le malheur et l’isolement, cette fermeté de caractère à laquelle je m’étais exercée de bonne heure, avec l’espoir d’une heureuse union, d’une félicité partagée, et qui s’était encore fortifiée naguère par les discours vivifiants du mystérieux voyageur.

« Mais je ne dois pas être ingrate : car, en ces circonstances, il m’est resté un aide excellent, qui soigne, en qualité de facteur, tout ce qui exige, dans ces affaires, l’activité d’un homme. S’il revient ce soir de la ville, je vous dirai, quand vous aurez appris aie connaître, dans quels rapports bizarres je me trouve avec lui. »

J’avais mêlé çà et là des réflexions au récit de Susanne, et, par quelques témoignages de tendre intérêt, j’avais eu soin d’ouvrir Wujours plus son cœur, d’encourager ses épanchements. Je ne manquais pas de m’attacher à ce qui n’était pas encore complétement exprimé ; elle s’en approchait toujours davantage, et nous avions fait tant de chemin, qu’à la moindre occasion, le secret, dévoilé, allait s’échapper de ses lèvres. Elle se leva et me dit :

« Allons vers mon père ! »

Elle marchait vivement la première ; je la suivais lentement ; je secouais la tête, en réfléchissant à la singulière situation où je me trouvais. Elle me fit entrer dans une chambre de derrière, d’un aspect agréable, où le bon vieillard était assis immobile dans un fauteuil. Il était peu changé. Je m’avançai vers lui : il me regarda fixement, puis ses yeux s’animèrent, sa physionomie s’éclaircit ; il essayait de remuer les lèvres, et, quand j’avançai la main, pour prendre la sienne, qui était immobile, il saisit la mienne lui-même, la serra, et s’élança vers moi en me tendant les bras.

« O Dieu ! s ecria-t-il, monsieur Lénardo ! C’est lui, c’est luimême ! »