Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/402

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peu vive, il m’a fait entendre qu’il me soupçonnait de nourrir quelque inclination secrète. »

Susanne laissa échapper ces derniers mots avec un peu d’hésitation et en baissant les yeux. A ce moment, quelles pensées me traversèrent l’esprit, chacun peut le comprendre ; et cependant une réflexion aussi prompte que l’éclair m’avertit que chaque mot ne ferait qu’augmenter notre embarras. Debout devant elle, je sentais au fond de l’âme que je l’aimais passionnément,- et je dus employer tout ce qui me restait de raison et de sagesse pour ne pas lui offrir ma main sur-le-champ. « Qu’elle laisse tout derrière elle, me disais-je, et qu’elle me suive ! * Mais les souffrances du temps passé m’arrêtèrent. Irais-je nourrir encore une trompeuse espérance, pour l’expier toute ma vie ?

Nous gardions le silence depuis quelques moments, lorsque Lise, que je n’avais pas vue s’approcher, parut devant nous à l’improviste, et demanda la permission de passer la soirée dans la forge voisine. Elle lui fut accordée sans difficulté.

Pendant ce temps je m’étais remis, et je commençai à dire, en termes généraux, comme j’avais vu dans mes voyages toutes ces choses se préparer depuis longtemps ; comme le goût et la nécessité de l’émigration augmentaient de jour en jour ; mais que cette résolution était toujours la plus dangereuse ; qu’un départ précipité était suivi d’un retour malheureux ; que nulle entreprise n’exigeait autant de prévoyance et de conduite.

Cette réflexion ne lui était pas nouvelle ; elle avait beaucoup médité sur toute cette affaire ; elle dit enfin avec un profond soupir :

« J’avais espéré, pendant votre séjour, que je trouverais du courage dans un intime épanchement, et je me sens dans une plus fâcheuse situation qu’auparavant ; je sens profondément combien je suis malheureuse. »

Elle leva son regard vers moi, puis elle détourna la tête, pour me cacher les pleurs qui s’échappaient de ses yeux si beaux et si doux, et elle s’éloigna de quelques pas.

Je dois l’avouer, le désir de consoler, ou du moins de distraire cette belle âme, m’inspira la pensée.de lui faire connaître l’association singulière de nombreux émigrants et voyageurs, dans laquelle j’étais entré depuis quelque temps. Je m’étais déjà laissé