Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/42

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— Je ne crois pas qu’on puisse mieux faire ni même faire autrement. Ce que l’homme veut communiquer doit se détacher de lui comme un second moi ; et comment la chose serait-elle possible, si le premier n’en était pas absolument pénétré ?

— On a cependant regardé comme avantageuse et nécessaire une instruction variée.

— Elle peut l’être aussi en son temps. La variété des connaissances ne fait proprement que préparer l’élément dans lequel peut agir l’homme spécial, auquel est donné, par cela même, assez d’espace. D’ailleurs notre époque est celle des spécialités. Heureux l’homme qui sait le reconnaître, et qui agit dans ce sens pour lui et pour les autres ! Il est certaines choses dans lesquelles cela se comprend parfaitement et du premier coup d’œil. Deviens par l’exercice un excellent violoniste, et tu peux être assuré que le maître de chapelle te fera avec empressement ta place dans l’orchestre. Rends-toi propre à une fonction, et attends la place que la société bienveillante t’accordera dans la vie commune. Restons-en là ; que celui qui ne veut pas nous croire suive son chemin : cela réussit quelquefois. Pour moi, je soutiens qu’il est toujours nécessaire de commencer par le premier échelon. Se borner à un métier est le plus sage. Pour les pauvres têtes, ce sera toujours un métier ; pour les bonnes, un art, et la plus excellente, en faisant une seule chose, fera tout, ou, pour m’exprimer d’une façon moins paradoxale, dans la chose unique qu’elle sait bien faire elle voit l’emblème de tout ce qui se fait bien. »

Cet entretien, dont nous ne rapportons que la substance, se prolongea jusqu’au coucher du soleil, — qui fut magnifique, mais ne laissa pas de rappeler aux voyageurs qu’ils avaient à se pourvoir d’un gîte pour la nuit. Fitz leur dit :

« Je ne saurais vous conduire sous un toit ; mais, si vous consentez à passer la nuit assis ou couchés chaudement auprès d’un bon vieux charbonnier, vous serez les bienvenus. »

Ils suivirent l’enfant, par des sentiers pittoresques, au lieu paisible, où chacun se sentit bientôt comme chez lui.

Au milieu d’une forêt de médiocre étendue, fumait la pile à charbon, bien voûtée, et répandant une chaleur bienfaisante ; à