Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/481

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pourra dire son trouble, sa confusion, quand le jurisconsulte, avec une démarche posée, comme à l’ordinaire, l’air pensif et les yeux baissés, passa son chemin avec grâce, sans même la remarquer ?

Vainement elle essaya, de la même manière, plusieurs jours de suite, de fixer son attention. Il allait toujours du même pas, sans lever les yeux ou les porter à droite et à gauche. Cependant, plus elle l’observait, plus il lui semblait être l’homme qui lui était si nécessaire. Son inclination devenait de jour en jour plus vive, et, n’étant point combattue, elle finit par dominer absolument.

  • Eh ! quoi ! se disait la belle dame, après que ton noble et sage époux a prévu la situation dans laquelle tu te trouverais en son absence ; quand sa prédiction se vérifie, que tu ne pourrais vivre sans ami, sans favori, dois-tu te consumer de langueur, dans le temps même où la fortune te montre un jeune homme parfaitement à ton gré, au gré de ton mari, un jeune homme avec lequel’tu peux goûter les plaisirs de l’amour dans un secret impénétrable ? Insensé qui laisse échapper l’occasion ! insensé qui veut résister à l’indomptable amour ! »

Par ces réflexions et d’autres pareilles, la belle cherchait à se fortifier dans sa résolution. Elle ne fut pas longtemps encore agitée par l’incertitude ; et, comme il arrive qu’une passion, à laquelle nous résistons longtemps, finit par nous entraîner tout à coup, et transporte tellement notre cœur, que nous considérons avec mépris, comme de faibles obstacles, l’inquiétude et la peur, la retenue et la honte, la position et les devoirs, elle prit soudain la brusque résolution d’envoyer à cet homme chéri une jeune fille qui la servait, et, quoi qu’il en pût coûter, de parvenir à sa possession.

La jeune fille courut chez le jurisconsulte, qui se trouvait dans ce moment à table avec de nombreux amis ; elle le salua de la part de sa maîtresse, et lui fit son message ponctuellement. Le jeune avoué n’en fut point surpris : il avait connu le marchand dans sa jeunesse ; il savait son absence, et, quoiqu’il n’eût ouï parler que vaguement de son mariage, il supposa que la femme, isolée pendant le voyage de son mari, avait probablement besoin des conseils de l’avoué dans une affaire importante.