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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/583

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leur avoir ; déjà tout brûlait et flambait d’un coté, quand de l’autre régnait encore une nuit sombre. Des caractères obstinés, des hommes à volonté forte, résistaient avec fureur à l’ennemi furieux, et sauvaient quelques objets aux dépens de leurs sourcils et de leurs cheveux brûlés. Hélas ! cette affreuse confusion se représentait à la vive imagination de la princesse ; la pureté de l’horizon lui semblait obscurcie ; un voile se répandait sur sa vue ; les forêts et les prairies avaient un air d’angoisse extraordinaire.

Arrivés dans la paisible vallée, sans prendre garde à sa fraîcheur salutaire, ils avaient fait à peine quelques pas au-dessous de la source vive qui formait le ruisseau voisin, quand la princesse aperçut dans les buissons, au bas de la prairie, quelque chose d’étrange, qu’elle reconnut à l’instant pour le tigre. Il accourait en bondissant, comme elle l’avait vu peu auparavant en peinture ; et cette image, après les images affreuses qui l’avaient tout à l’heure occupée, produisit sur elle la plus étrange impression.

« Fuyez, madame ! s’écrie Honorio ; fuyez ! »

Elle tourna bride du coté de la montagne escarpée, par le chemin qu’ils venaient de suivre. Le jeune homme courut au monstre, prit son pistolet et tira, quand il se crut assez proche ; mais, par malheur, il manqua la bête : elle fit un saut de coté, le cheval s’arrêta, le tigre, furieux, poursuivit son chemin, montant sur la trace de la princesse. Elle courait, de toute la force de son cheval, sur la pente escarpée et pierreuse, songeant à peine que le délicat animal, qui n’avait point l’habitude de pareils efforts, ne pourrait les soutenir. Il se força, pressé par l’écuyère en détresse ; il broncha une fois, puis une autre, contre les petits cailloux roulant sur la pente, et, après de violents efforts, il tomba épuisé sur la terre. La belle dame, agile et résolue, ne manqua pas de se retrouver hardiment sur ses pieds ; le cheval aussi se releva ; mais le tigre approchait, non pas cependant avec une extrême vitesse : le sol inégal, les pierres pointues, semblaient arrêter son élan, et la poursuite d’Honorio, qui galopait sur sa trace, puis montait à ses côtés, en mesurant sa marche, semblait seule aiguillonner et stimuler sa force. Les deux coureurs atteignirent en même temps le lieu