Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/61

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vagants, un innocent jeune homme ? Pour attraper de pareils « trésors, il faut être bien plus alerte.

« L’amour, à son jeu charmant, sait toujours prendre l’a« vance : certes, il ne laisse pas les fleurs attendre* seize ans « au moulin. Ils volèrent donc mes habits, et voulaient aussi le « manteau. Mais comment tant de canaille maudite s’est-elle « fourrée dans l’étroite maison ?

« Moi, je me lève en sursaut, je tempête et je jure, résolu à « me faire passage. Je regarde encore une fois la perfide : hé« las ! elle était toujours belle ! Ils reculent tous devant ma « fureur ; bien des menaces s’exhalent encore ; mais, en pous« sant une voix de tonnerre, je m’élance enfin hors de cette « caverne.

« Jeunes beautés du village, il faut vous fuir comme les « beautés de la ville ! Laissez donc aux nobles dames le plaisir « de dépouiller leurs serviteurs ! Et, si vous êtes aussi des ru« sées, si vous ne connaissez aucun tendre lien, soit : changez « d’amoureux, mais ne les trabissez pas. »

,r Ainsi chante le malheureux, dans la saison d’hiver, où ne verdit pas un pauvre brin d’herbe. Je ris de sa profonde blessure, car elle est bien méritée. Tel soit le sort de tout volage qui, le jour, abuse effrontément sa noble amie, et, la nuit, se glisse, à grand risque, dans le moulin trompeur de l’amour ! »

Que l’étrangère pût oublier à ce point les convenances, cela donnait à réfléchir, et cette saillie pouvait passer pour l’indice d’une tête inégale. « Mais, me disait M. de Revanne, nous oubliâmes nous-mêmes, je ne sais comment, toutes les réflexions que nous aurions pu faire.

  • La grâce inexprimable avec laquelle elle rendit cette facétie nous avait apparemment séduits ; son jeu était folâtre, mais plein d’intelligence ; ses doigts lui obéissaient parfaitement, et sa voix était vraiment enchanteresse. Lorsqu’elle eut fini, elle parut aussi posée qu’auparavant, et nous crûmes qu’elle avait voulu simplement égayer le moment de la digestion.

« Bientôt après, elle nous demanda la permission de se remettre en chemin ; mais, sur un signe que je fis, ma sœur lui dit que, si elle n’avait pas sujet de hâter son voyage, et si notre hospitalité ne lui déplaisait pas, ce serait pour nous une fête de la