Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/64

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noble caractère de la voyageuse et la ruse comique dont elle se servit : maison connaît déjà deux de ses inégalités, je veux dire ses voyages mêmes et sa chanson. »

Il est évident que M. de Revanne était amoureux de l’inconnue. Or il ne pouvait pas assurément compter sur l’impression que ferait son visage demi-séculaire, bien que sa vigueur et sa bonne mine lui donnassent l’air d’un homme de trente ans. Peut-être espéràil-il de plaire par sa belle et pure santé, par la bonté, la sérénité, la douceur, la générosité de son caractère, peut-être aussi par sa fortune, quoiqu’il eût assez dé délicatesse pour sentir qu’on n’achète pas ce qui est sans prix.

Mais, d’un autre côté, le fils, aimable, tendre, passionné, ne se tint pas mieux sur ses gardes que son père, et se jeta résolument dans cette aventure. D’abord il tâcha de gagner doucement l’inconnue, que les éloges et l’amitié de son père et de sa tante lui avaient fait dignement apprécier. Il s’efTorça sincèrement de plaire à une femme aimable, qu’il jugeait, dans son amour, trèssupérieure à sa condition présente. La sévérité de la jeune fille l’enflamma plus encore que son mérite et sa beauté ; il osa par* 1er, entreprendre, promettre.

Sans le vouloir, le père donna toujours à sa recherche des allures paternelles. Il se connaissait, et, lorsqu’il eut découvert son rival, il n’espéra point de l’emporter sur lui, à moins de recourir à des moyens indignes d’un homme d’honneur. Il continuait néanmoins ses poursuites, et pourtant il n’ignorait pas que la bonté, la richesse même, sont des attraits auxquels une femme ne s’abandonne qu’avec précaution, mais qui demeurent sans effet, aussitôt que l’amour se montre avec les charmes de la jeunesse. M. de Revanne fit d’autres fautes encore, qu’il regretta plus tard. En témoignant une amitié respectueuse, il parla d’une liaison durable, secrète, légitime ; il se plaignit aussi quelquefois, et prononça le mot d’ingratitude. Certes il ne connaissait pas celle qu’il aimait, lorsqu’il lui dit un jour que beaucoup de bienfaiteurs recueillaient le mal pour le bien. L’inconnue lui répondit avec franchise que beaucoup de bienfaiteurs achèteraient volontiers tous les droits de leurs protégés pour une soupe aux lentilles.

La belle étrangère, embarrassée de cette double recherche,