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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/98

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ment, et l’on avait habilement dissimulé tout ce qui pouvait causer la surprise. Personne n’entrait sans porter tour à tour, avec plaisir, ses regards du miroir à la nature et de la nature au miroir.

Une fois en chemin, par un beau jour d’été, pur et serein, on fit une paisible promenade champêtre, autour et au travers de ces beaux lieux. Les jeunes filles indiquèrent la place où leur bonne mère venait se reposer le soir, sous un hêtre magnifique, qui s’était fait une large et libre place ; bientôt après, Julie signala, avec quelque malice, le lieu où Lucinde venait se recueillir le matin, au bord d’un petit ruisseau, dans un bosquet d’aunes et de peupliers, d’où s’élevaient les champs et s’abaissaient les prairies. Le charme de ce lieu ne pouvait se décrire : on croyait l’avoir déjà vu’ partout, mais nulle part avec une simplicité si expressive et si douce. En revanche, le jeune frère rendit aussi Julie un peu confuse, en montrant à Lucidor de petits berceaux et des jardins enfantins, que l’on remarquait à peine encore, auprès d’un moulin caché à l’écart. Ces établissements dataient de l’époque où Julie, qui pouvait alors avoir dix ans, s’était mis dans la tête de se faire meunière, d’entrer en fonctions après la mort des deux vieilles gens, et de prendre pour mari un’ brave garçon meunier.

« Tout cela, s’écria Julie, était d’un temps où je n’avais pas entendu parler de villes baignées par des fleuves ou même par la mer, où je ne savais pas un mot de Gênes et de tant d’autres cités. Votre bon père m’a convertie, Lucidor, et depuis lors je ne viens guère ici. »

En disant ces mots, elle s’assit, d’un air espiègle, sur un petit banc, à peine en état de la soutenir encore, sous un bouquet de sureau, dont les branches s’étaient courbées trop bas.

« Fi ! peut-on s’accroupir ainsi ! » s’écria-t-elle.

Puis elle se leva en sursaut, et courut en avant avec son joyeux frère. (

Lucidor et Lucinde, restés en arrière, s’entretinrent raisonnablement ; et, dans une pareille situation, la raison approche bien du sentiment. Passer tour à tour en revue des objets simples et naturels ; considérer avec recueillement de quelle manière l’homme sage et intelligent sait en tirer parti pour son