Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/103

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larges ou étroits, les uns à côté des autres, et même, comme la place manquait, les uns sur les autres, puis les faisait enlever et rouler. Il ne cessait de revenir à l’examen des travaux, de contempler avec un plaisir nouveau les parties qu’il jugeait les mieux réussies. Mais il ne manquait pas non plus d’exprimer son désir de voir ceci ou cela exécuté autrement. Cela le conduisit à une entreprise nouvelle et tout à fait singulière. Comme ces peintres réussissaient mieux, l’un à peindre les figures, l’autre les seconds plans et les lointains, le troisième les arbres, le quatrième les fleurs, le comte se demanda si l’on ne pourrait associer ces talents dans les tableaux, et, par ce moyen, produire des ouvrages accomplis. On se mit à l’œuvre aussitôt, et, par exemple, il fit peindre de beaux troupeaux dans un paysage déjà terminé ; mais, comme on n’avait pas toujours la place convenable, que d’ailleurs le peintre d’animaux ne regardait pas à une couple de moutons de plus ou de moins, le paysage le plus vaste finissait par se trouver trop étroit. Cependant le peintre de personnages devait encore y faire entrer les bergers et quelques voyageurs, qui semblaient à leur tour se dérober l’air les uns aux autres, et l’on s’étonnait qu’ils ne fussent pas tous ensemble étouffés dans la plus vaste campagne. On ne pouvait jamais prévoir à quoi l’œuvre aboutirait, et, une fois achevée, elle ne satisfaisait pas. Les peintres prirent de l’humeur. Ils avaient gagné aux premières commandes, ils perdirent à ces remaniements, bien que le comte les payât aussi très-généreusement ; et comme les diverses parties exécutées pêle-mêle dans un seul tableau ne produisaient pas, malgré tous leurs efforts, un heureux effet, chacun finit par croire que son travail était gâté et annulé par le travail des autres ; tellement que les artistes faillirent se brouiller et devenir ennemis irréconciliables. Ces changements, ou plutôt ces suppléments, s’exécutaient dans la mansarde, où je me trouvais seul avec les artistes, et je m’amusais à choisir entre les études, particulièrement celles d’animaux, tel ou tel individu, tel ou tel groupe, et à les proposer pour le premier plan ou le lointain, et, soit persuasion, soit complaisance, on en faisait quelquefois à ma fantaisie.

Les collaborateurs étaient donc découragés au plus haut point, surtout Seekatz, homme hypocondre et renfermé en lui-même,