Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/145

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il inspirait beaucoup de confiance, il savait l’exercer tranquillement, sous une signature étrangère, soit à Francfort soit devant les tribunaux de l’Empire. Il avait bien soixante ans quand je pris des leçons d’écriture avec son fils, et fus introduit par lui dans sa maison. Il était d’une taille haute, sans être maigre, forte, sans être obèse. Son visage, défiguré par la petite vérole, qui lui avait même fait perdre un œil, inspirait d’abord l’appréhension. Sa tête chauve était toujours coiffée d’un bonnet blanc, serré d’un ruban par en haut. Ses robes de chambre de calamande ou de damas étaient d’une extrême propreté. Il habitait au rez-de-chaussée une enfilade de chambres fort gaies, qui donnaient sur une allée d’arbres, et la propreté de l’ameublement répondait à la gaieté du local. L’ordre parfait de ses papiers, de ses livres, de ses cartes, faisait une agréable impression. Son fils, Henri Sébastien, qui s’est fait connaître par divers écrits sur les arts, promettait peu dans son enfance ; doux et bon, mais gauche, je ne dirai pas grossier, mais sans gêne et peu disposé à s’instruire, il cherchait plutôt à éviter la présence de son père, tandis qu’il savait obtenir de sa mère tout ce qu’il voulait. Pour moi, je m’approchai toujours plus du vieillard, à mesure que j’appris à le connaître. Comme il fie se chargeait que des causes importantes, il avait le temps de s’occuper et de s’amuser d’autre manière. Je n’eus pas besoin de le fréquenter et d’entendre ses doctrines bien longtemps, pour observer qu’il était en opposition avec Dieu et le monde. Un de ses livres favoris était Agrippa de vanitate scientiarum, qu’il me recommanda particulièrement, et qui plongea pour quelque temps ma jeune tête dans un désordre assez grand. J’étais, grâce à la bonne humeur de mon âge, disposé à une sorte d’optimisme, et je m’étais assez bien réconcilié avec Dieu ou les dieux ; car une suite d’années m’avait amené à reconnaître que bien des choses font équilibre au mal ; qu’on peut se relever des souffrances, se sauver des périls, sans se rompre toujours le cou. Les œuvres et la conduite des hommes me semblaient aussi tolérables, et je trouvais dignes d’éloges bien des choses dont mon vieil ami n’était nullement satisfait. Un jour, qu’il m’avait fait du monde un tableau assez grotesque, je remarquai qu’il se disposait à conclure par un mot éner-