pouvait arranger l’affaire. J’allai donc, le dimanche suivant, à Niederrad, où ces jeunes gens avaient coutume de se rendre, et je les trouvai en effet. Mais je lus bien surpris, lorsqu’au lieu de se montrer mécontents et froids, ils vinrent à moi le visage riant. Le plus jeune surtout fut très-amical ; il me prit la main et me dit : « Vous nous avez fait l’autre jour une malice, et nous étions bien fâchés contre vous ; mais votre fuite et la soustraction de l’épître nous ont inspiré une bonne idée, qui sans cela peut-être ne nous serait jamais venue. Pour la réconciliation, veuillez nous régaler aujourd’hui, et vous apprendrez un projet dont nous sommes assez fiers, et qui certainement vous réjouira comme nous. » Ces paroles me mirent dans un grand embarras, car je n’avais guère d’argent sur moi que pour me rafraîchir avec un ami ; mais, pour régaler une société, et surtout une société comme celle-là, qui ne savait pas toujours s’arrêter à propos, je n’étais nullement en mesure. Cette proposition m’étonnait d’autant plus, qu’ils se faisaient d’ordinaire un point d’honneur de payer chacun leur écot. Ils sourirent de mon embarras, et le jeune homme poursuivit. « Allons nous asseoir sous le berceau, et vous saurez le reste. » Nous prîmes place et il dit : « L’autre jour, quand vous eûtes emporté votre épître, nous causâmes encore une fois de toute l’affaire, et nous fîmes réflexion que, sans aucun profit, pour le chagrin d’autrui et à nos propres risques, nous abusions de votre talent par méchanceté toute pure, tandis que nous pourrions l’employer pour l’avantage de nous tous. Voyez, j’ai ici une commande pour une chanson de noces et une autre pour un chant funèbre. Celui-ci doit être fait tout de suite ; pour l’autre, vous avez encore huit jours. Veuillez les faire ; c’est un jeu pour vous, vous nous régalez deux fois, et nous resterons pour longtemps vos débiteurs. »
Cette proposition me plut à tous égards, car dès mon enfance j’avais considéré avec une certaine envie les poésies de circonstance qui circulaient alors en nombre chaque semaine, et qu’on voyait surtout éclore par douzaines, à l’occasion des mariages considérables, car je me croyais capable de faire ces choses aussi bien et mieux encore. Maintenant l’occasion m’était offerte de me montrer et particulièrement de me voir imprimé.