Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/161

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monde, ils s’étaient aussi demandé comment une femme pourrait augmenter ses talents et son industrie et faire de son temps un emploi avantageux. Là-dessus, le cousin lui avait proposé de faire un essai chez une marchande de modes, qui avait justement besoin d’une ouvrière. On s’était mis d’accord avec cette dame ; Marguerite allait chaque jour passer chez elle un certain nombre d’heures ; elle était bien payée. Seulement, elle devait par bienséance s’accommoder d’une certaine toilette, qu’elle quittait chaque fois, parce qu’elle n’allait pas du tout à son genre de vie ordinaire. Je fus tranquillisé par cette explication, mais je n’étais pas trop satisfait de savoir la belle enfant dans une boutique et dans un lieu qui était parfois le rendez-vous du beau monde. Cependant je n’en lis rien paraître, et je cherchais à digérer en secret mon souci jaloux. Le jeune cousin ne m’en laissa pas le loisir ; il me présenta sur-le-champ la commande d’un poème de circonstance, me détailla les personnes, et me demanda aussitôt de travailler à l’invention et à la disposition. Déjà il avait eu avec moi quelques entretiens sur la manière de traiter un sujet de ce genre, et, comme en pareil cas j’étais très-expansif, il avait obtenu de moi fort aisément de lui exposer en détail ce que la rhétorique fournit sur ces matières, de lui donner une idée de la chose, en prenant pour exemple mes propres travaux et ceux des autres dans ce genre. C’était une bonne tête, mais sans aucune trace de veine poétique ; et cette fois il entra tellement dans les détails, demandant compte de tout, que je lui dis franchement : « Il semble que vous vouliez me faire concurrence et me souffler mes pratiques. — Je ne veux pas le nier, dit-il en souriant, car en cela je ne vous fais aucun tort. Avant qu’il soit longtemps, vous irez à l’université. Jusque-là, laissez-moi profiter un peu de vos leçons. — Très-volontiers ! » lui dis-je, et je l’encourageai à faire lui-même un plan, à choisir le rhythme d’après le caractère du sujet, et ce qui pouvait d’ailleurs être nécessaire. Il se mit avec zèle à l’ouvrage, mais cela n’allait pas, et je devais toujours finir par faire tant de changements, que j’aurais eu fait plus aisément et mieux du premier coup. Cependant ces leçons, ces communications, ce travail mutuel, nous offraient un heureux passe-temps ; Marguerite y prenait part ; elle eut quelques jo-