Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/182

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seule volonté, dans une magnifique harmonie, et, sortant du temple au son des cloches, resplendissait à nos yeux comme une chose sainte. Une solennité politique et religieuse a un attrait infini. Nous voyons devant nous la majesté terrestre environnée de tous les symboles de sa puissance, mais, en s’inclinant devant la puissance céleste, elle nous rend sensible l’intime union de l’une et de l’autre, car l’individu lui-même ne peut démontrer son affinité avec Dieu qu’en se soumettant et en adorant.

Les cris de joie qui retentirent de la place du marché se répétèrent sur la grande place, et un vivat énergique s’élança de mille et mille poitrines et sans doute aussi du fond des cœurs ; car cette grande fête devait être le gage d’une paix durable, qui assura en effet pour de longues années le bonheur de l’Allemagne.

Plusieurs jours auparavant, des crieurs publics avaient annoncé que ni le pont ni l’aigle placé sur la fontaine ne seraient livrés au pillage et que le peuple ne devait pas y toucher comme autrefois. On l’avait résolu ainsi pour prévenir les accidents inévitables dans de pareilles bagarres. Mais, pour faire en quelque mesure un sacrifice à l’esprit populaire, des personnes préposées à cet effet s’avancèrent à la suite du cortège, détachèrent le drap du pont, le roulèrent et le jetèrent en l’air. Il en résulta non pas un accident grave, mais un désordre risible, car l’étoffe se déroula dans l’air et couvrit, dans sa chute, un certain nombre de personnes. Celles qui saisirent les bouts et les tirèrent à elles firent tomber toutes celles qui étaient au milieu, les enveloppèrent et les tinrent à la gêne, jusqu’à ce que chacun eût déchiré ou coupé et emporté, comme il sut faire, un lambeau de l’étoffe que les pas des Majestés avaient sanctifiée.

Je n’assistai pas longtemps à ce divertissement sauvage, mais je descendis bien vite de ma haute loge, par un labyrinthe de petits escaliers et de corridors, jusqu’au grand escalier du Rœmer, par où devait monter la troupe illustre et magnifique que nous avions admirée de loin. La foule n’était pas grande, parce que les abords de l’hôtel de ville étaient bien gardés, et je parvins heureusement en haut tout contre la grille de fer. Alors les hauts personnages montèrent en passant devant nous, tan-