Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/194

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me tirer de ma douloureuse solitude. Je laissai les cloches sonner pour la fête d’actions de grâces, l’empereur se rendre au couvent des Capucins, les électeurs et l’empereur partir, sans faire un pas hors de ma chambre. Les derniers coups de canon, si violents qu’ils fussent, ne purent m’émouvoir ; en même temps que la fumée de la poudre se dissipa et que les derniers bruits cessèrent, toute cette magnificence s’évanouit pour moi. Je ne sentais de satisfaction qu’à ruminer ma disgrâce et à la multiplier sous mille formes imaginaires ; toute mon imagination, ma poésie et ma rhétorique s’étaient fixées sur cette place malade, et, par cette force de vie, menaçaient de plonger mon corps et mon âme dans une maladie incurable. Dans ce triste état, je ne voyais plus rien qui fût désirable et digne d’envie. Mais parfois j’étais saisi d’un insurmontable désir de savoir ce que devenaient mes pauvres amis, ce que l’enquête avait produit, et à quel point on les avait trouvés complices ou innocents de ces crimes. De tout cela je me faisais en détail les peintures les plus diverses, et je ne manquais pas de tenir mes amis pour innocents et bien malheureux. Tantôt je souhaitais me voir délivré de ces doutes, et j’écrivais à notre ami des lettres pleines de menaces, pour qu’il cessât de me dissimuler la suite de l’affaire ; tantôt je les déchirais, de peur d’apprendre clairement mon malheur, et de perdre la consolation fantastique qui avait été jusqu’alors tour à tour mon tourment et mon réconfort.

C’est ainsi que je passais les jours et les nuits dans l’inquiétude, la fureur et l’abattement, en sorte qu’à la fin je me sentis heureux de tomber assez sérieusement malade pour qu’on jugeât nécessaire d’appeler le médecin et de me tranquilliser par tous les moyens. On crut pouvoir y réussir par une déclaration générale, en me protestant qu’on avait traité avec la plus grande indulgence toutes les personnes plus ou moins impliquées dans ce délit ; que mes amis, tenus en quelque sorte pour innocents, en avaient été quittes pour une légère réprimande, et que Marguerite était partie de Francfort pour se retirer dans son pays. Ce dernier détail fut celui qu’on tarda, le plus à m’apprendre, et je n’en fus point satisfait. Je ne pouvais croire ce départ volontaire, et je n’y voyais qu’un exil ignomi-