Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/199

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des emportements, que je considérai désormais comme des enfantillages. C’était un grand pas vers la guérison, car je m’étais abandonné souvent à ces douleurs, la moitié de la nuit, avec la dernière violence, tellement qu’à force de pleurer ut de sangloter, j’en étais venu à ne pouvoir presque plus avaler ; je ne pouvais ni manger ni boire sans souffrir, et la poitrine, qui tient de si près à ces organes, semblait affectée. Le dépit que je continuais à ressentir de cette découverte me fit bannir toute mollesse ; je trouvais horrible d’avoir sacrifié sommeil, repos et santé pour une jeune fille à qui il avait plu de me considérer comme un nourrisson et de se croire, auprès de moi, toute la sagesse d’une nourrice.

Ces idées maladives, je me persuadai sans peine que l’activité pouvait seule les bannir. Mais que devais-je entreprendre ? J’avais en beaucoup de choses des lacunes à combler, et j’avais à me préparer sur plus d’un point pour l’université, où je devais bientôt me rendre. Mais je ne trouvais de goût, je ne réussissais à rien. Beaucoup de choses me semblaient connues et triviales ; je ne trouvais ni chez moi la force ni au dehors l’occasion de poser de nouvelles bases. Je me laissai entraîner par le goût de mon excellent voisin vers une étude toute nouvelle et tout étrangère pour moi, et qui m’offrit pour longtemps un vaste champ de réflexions et de connaissances. Mon ami commença en effet à m’initier aux secrets de la philosophie. Il avait étudié à Iéna sous Daries ; sa tête fort bien organisée avait saisi vivement l’ensemble de ces leçons, et il cherchait à me les communiquer. Malheureusement, ces idées ne voulaient pas s’arranger comme cela dans ma cervelle. Je faisais des questions auxquelles il promettait de répondre plus tard ; j’élevais des prétentions qu’il promettait de satisfaire dans la suite. Cependant ce qui nous divisait surtout, c’est que, selon moi, il n’était point nécessaire de mettre à part la philosophie, puisqu’elle était comprise tout entière dans la poésie et la religion. C’était ce qu’il ne voulait point m’accorder ; il cherchait au contraire à me démontrer que la poésie et la religion doivent se baser d’abord sur la philosophie. Je le niais obstinément, et, dans la suite de nos entretiens, je trouvais à chaque pas des arguments en faveur de mon opinion. En effet, comme la poé-