Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/218

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verainement odieuse, car les enfants sont tous rigoristes en morale. Mon père, qui n’était mêlé aux affaires de la ville que comme simple particulier, exprimait très-vivement son chagrin des choses qui tournaient mal. Et ne le voyais-je pas, après tant d’études, de travaux, de voyages, et avec une culture si variée, mener entre ses murs mitoyens une vie solitaire, dont je n’aurais pas voulu pour moi ? Je sentais tout cela sur mon cœur comme un horrible fardeau dont je ne savais me délivrer qu’en essayant de me figurer un tout autre plan de vie que celui qui m’était prescrit. Dans ma pensée, je rejetais bien loin les études de droit, et je me vouais uniquement aux langues, aux antiquités, à l’histoire et à tout ce qui en découle.

Je trouvais toujours le plus grand plaisir à faire la peinture poétique de ce que j’avais observé en moi, chez les autres et dans la nature ; la chose m’était toujours plus facile, parce qu’elle venait d’instinct, et que la critique ne m’avait jamais déconcerté ; et lors même que mes productions ne m’inspiraient pas une entière confiance, je pouvais bien les considérer comme défectueuses, mais non comme tout à fait rejetables. Si l’on y condamnait ceci ou ce]a, je n’en restais pas moins secrètement persuadé que je ferais toujours mieux par la suite, et qu’un jour je serais nommé avec honneur à côté de Hagedorn, de Gellert et de leurs pareils. Mais, à elle seule, cette destination me semblait trop vaine et trop insuffisante ; je voulais me livrer sérieusement aux études solides dont j’ai parlé, et, en songeant à faire, par une connaissance plus complète de l’antiquité, des progrès plus rapides dans mes travaux particuliers, je voulais me rendre capable de remplir une chaire dans quelque université, ce qui me semblait la chose la plus désirable pour un jeune homme qui veut se cultiver lui-même et contribuer à la culture des autres.

Dans ces pensées, je visais toujours à Goettingue. C’était en des hommes tels que Heine, Michaëlis et quelques autres, que je mettais toute ma confiance ; mon vœu le plus ardent était de m’asseoir à leurs pieds et de recueillir leurs leçons, mais mon père resta inébranlable. Ce fut en vain que plusieurs de nos amis, qui étaient de mon avis, essayèrent sur lui leur influence ; il persista dans sa résolution de m’envoyer à Leipzig. Alors je