Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/265

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Au reste il avait fait de bonnes études ; il était particulièrement versé dans les langues et les littératures modernes, et il avait une fort belle écriture. Il avait pour moi beaucoup d’affection, et moi, qui avais toujours eu l’habitude et le goût de fréquenter des personnes plus âgées que moi, je m’attachai bientôt à lui. Ma société lui offrait aussi un amusement particulier, en ce qu’il trouvait du plaisir à modérer mon inquiétude et mon impatience, en quoi je lui donnais assez à faire. En fait de poésie, il avait ce qu’on appelait du goût, un certain discernement général du bon et du mauvais, du médiocre et du passable ; mais sa critique inclinait au blâme, et il détruisait encore le peu de foi que je conservais dans les auteurs contemporains, par les remarques impitoyables qu’il savait faire avec un esprit enjoué sur les écrits et les poésies de tels et tels. Il accueillait avec indulgence mes compositions et voulait bien les souffrir, mais à condition que je ne les fisse pas imprimer. En revanche il me promit de copier de sa main les pièces qu’il jugeait bonnes et de les réunir en un beau volume, dont il me ferait cadeau. Cette entreprise lui fut une admirable occasion de perdre son temps. Avant qu’il eût trouvé le papier convenable, qu’il se fût déterminé sur le format, qu’il eût fixé la grandeur de la marge et l’espèce d’écriture ; avant qu’il se fût procuré les plumes de corbeau, qu’il les eût taillées et qu’il eût râpé l’encre de Chine, des semaines se passèrent, sans qu’il eût absolument rien fait. Chaque fois qu’il se mettait à écrire, c’étaient les mêmes cérémonies, mais peu à peu il composa réellement un délicieux manuscrit. Les titres étaient en lettres gothiques, les vers étaient d’une écriture droite saxonne ; chaque pièce était suivie d’une vignette analogue, qu’il avait choisie quelque part ou même inventée, imitant, avec beaucoup d’élégance, les hachures des gravures sur bois et les fleurons qu’on emploie dans ces occasions. Il me produisait ces choses à mesure qu’il avançait ; il me vantait, d’un ton plaisamment pathétique, le bonheur que j’avais de me voir immortalisé dans un si excellent manuscrit, d’une manière qu’aucune presse ne pouvait égaler ; et ce fut une nouvelle occasion de passer d’agréables heures. Cependant ses belles connaissances rendaient ; sans étalage, sa conversation instructive,