Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/278

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flexions, et notre intelligence en prenait un développement rapide et marqué. J’avais, par exemple, dessiné très-soigneusement, d’après un modèle, avec le crayon noir et le crayon blanc, un bouquet de fleurs sur du papier bleu, et, soit avec l’estompe, soit avec des hachures, j’avais tâché de reproduire ce petit dessin. Après que je me fus donné beaucoup de peine, il vint à passer derrière moi et il dit : « Plus de papier ! » puis il s’éloigna. Mon voisin et moi, nous nous creusions la tête pour deviner ce que cela voulait dire, car mon bouquet était au large sur une grande demi-feuille. Enfin nous crûmes avoir découvert sa pensée, quand nous observâmes qu’à force d’entasser le noir et le blanc, j’avais entièrement couvert le fond bleu, détruit la demi-teinte, et fait, avec beaucoup d’application, un dessin sans agrément. Au reste, Œser ne manquait pas de nous enseigner ce qui regarde la perspective, la lumière et les ombres, mais c’était de telle sorte que nous avions mille peines à trouver la manière d’appliquer ses préceptes. Probablement, comme nous ne devions pas être artistes, il se proposait seulement de nous former l’intelligence et le goût, de nous faire connaître ce qu’on exige d’une œuvre d’art, sans nous imposer l’obligation de la produire. Comme du reste l’application n’était pas mon fait (car je n’aimais que ce qui me venait à la volée), je me sentis peu à peu fatigué ou du moins découragé, et, comme la théorie est plus facile que la pratique, je me laissais conduire où il plaisait à Œser de nous mener.

On venait de traduire en allemand la Vie des peintres de Dargenville. Je l’achetai dans sa première nouveauté, et l’étudiai assidûment. Cela parut faire plaisir à notre maître, et il nous fournit l’occasion de voir plusieurs portefeuilles des grandes collections de Leipzig : par là, il nous introduisit dans l’histoire de l’art ; mais ces études produisirent chez moi un effet auquel il ne songeait pas. Les divers sujets que je voyais traiter par les artistes éveillèrent ma veine poétique, et, de même qu’on fait une gravure pour un poëme, je fis les poèmes pour les gravures et les dessins, me figurant dans leurs positions antérieures et subséquentes les personnages que je voyais représentés ; d’autres fois, je composais une petite chanson en harmonie avec leur situation, et, parla, je m’accoutumais à voir