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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/286

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moi un tableau de Van Ostade, mais si complet, qu’on n’aurait eu qu’à le placer dans la galerie. La position des objets, la lumière, les ombres, la teinte brunâtre de l’ensemble, l’effet magique, tout ce qu’on admire dans ces tableaux, je le voyais dans la réalité. C’était la première fois que je reconnaissais en moi le don, que j’ai mis par la suite en usage d’une manière plus consciente, de voir la nature par les yeux de tel ou tel artiste, aux ouvrages duquel je venais de donner une attention particulière. Cette faculté m’a procuré de grandes jouissances, mais elle a aussi augmenté mon désir de m’appliquer de temps en temps avec ardeur à l’exercice d’un talent que la nature paraissait m’avoir refusé.

Je visitai la galerie à toutes les heures permises, et je continuai d’exprimer tout haut mon ravissement, à la vue de plusieurs précieux ouvrages. Par là, j’anéantis mon beau projet de rester inconnu et inobservé : je n’avais eu affaire jusqu’alors qu’à un sous-inspecteur ; mais l’inspecteur de la galerie, le conseiller Riedel, me remarqua, et il attira mon attention sur bien des choses qui lui semblaient être de mon ressort. Je trouvai à cette époque cet excellent homme aussi empressé, aussi obligeant, que je l’ai vu plus tard, durant nombre d’années, et qu’il se montre encore aujourd’hui. Sa figure s’est tellement associée chez moi à ces chefs-d’œuvre, que mon imagination ne peut l’en séparer ; son souvenir m’a suivi même en Italie, où sa présence m’aurait été bien précieuse, quand j’avais sous les yeux tant de grandes et riches collections.

Comme on ne peut, même au milieu d’étrangers et d’inconnus, contempler de pareils ouvrages la bouche close, et sans échanger ses impressions ; que leur vue est, au contraire, éminemment propre à disposer les âmes aux épanchements mutuels, j’entrai en conversation avec un jeune homme qui paraissait fixé à Dresde et attaché à une légation. Il m’invita à me rendre un soir dans une auberge où se rassemblait une joyeuse société, et où l’on pouvait, en payant un modeste écot, passer quelques heures agréables.

Je fus ponctuel au rendez-vous, mais je ne trouvai pas la société, et le garçon me causa quelque surprise en me faisant les compliments du monsieur qui m’avait invité, avec des ex-