Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Auerstadt, et qui s’étaient sensiblement accrues à la suite d’une chute de cheval, me jetaient dans le découragement. Un mauvais régime m’affaiblit l’estomac ; la lourde-bière de Merse bourg m’offusquait le cerveau ; le café, qui me donnait une tristesse toute particulière, surtout pris au lait après le repas, paralysait mes entrailles et semblait en suspendre les fonctions. J’en éprouvais de grandes angoisses, sans pouvoir m’astreindre à un genre de vie plus raisonnable. Mon humeur, stimulée par les forces vives de la jeunesse, passait d’un extrême à l’autre, d’une gaieté excessive à un chagrin mélancolique. C’était le temps où les bains froids avaient pris faveur, et étaient recommandés sans réserve. Il fallait coucher sur la dure et peu couvert, ce qui supprimait toute transpiration accoutumée. Ces folies et d’autres encore, suite de l’impulsion mal entendue de Rousseau, devaient, assurait-on, nous rapprocher de la nature et nous préserver de la dépravation des mœurs. Tout cela, sans distinction, mis en pratique avec des variations déraisonnables, produisit sur beaucoup de gens les effets les plus funestes, et je provoquai de telle sorte mon heureuse organisation, que, pour sauver tout, il ne fallut pas moins qu’une conjuration et une révolution de ses forces secrètes.

Une nuit, je m’éveillai avec une violente hémorragie. J’eus encore assez de force et de présence d’esprit pour avertir mon voisin. Le docteur Reichel fut appelé. Il me soigna avec la plus grande affection. Je fus plusieurs jours entre la vie et la mort, et, quand je me sentis mieux, la joie que j’en eus fut troublée par un abcès qui s’était manifesté, dans l’intervalle, au côté gauche du cou, et qu’on eut enfin le loisir d’observer, quand le danger fut, passé. Cependant la convalescence est toujours agréable et réjouissante, quoique les progrès en soient faibles et lents. Après cette crise de la nature, il me sembla que j’étais un autre homme ; dès longtemps je ne m’étais trouvé une aussi grande sérénité d’esprit. J’étais heureux de sentir l’intérieur de mon corps dégagé, tout menacé que j’étais d’un mal extérieur de longue durée.

Mais dans ce temps mon principal réconfort fut de voir combien d’hommes excellents me témoignaient une affection imméritée. Je dis imméritée, car il n’y en avait aucun à qui je n’eusse