Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/299

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sait pour moi eilt été en tout temps considérable, et méritait tout mon respect dans ma situation présente.

Mais, comme, d’ordinaire, quand l’harmonie des âmes s’est élevée dans les régions les plus spirituelles, les tons durs et criards de la vie mondaine éclatent avec plus de violence et d’emportement que jamais, et que le contraste, qui subsiste toujours en secret, venant à se manifester soudain, agit d’une manière d’autant plus sensible, je ne devais pas non plus sortir de l’école péripatétique de mon ami sans avoir été témoin d’un événement étrange, du moins pour Leipzig, je veux dire d’un tumulte, que les étudiants provoquèrent, et voici à quelle occasion. Des jeunes gens s’étaient brouillés avec la garde bourgeoise ; on en était venu aux voies défait. Des étudiants se liguèrent pour venger les offenses reçues. Les soldats résistèrent vigoureusement, et l’avantage ne resta pas aux citoyens de l’université, fort mécontents : on rapporta que des personnes notables avaient loué et récompensé les vainqueurs pour leur courageuse résistance. Cela enflamma chez les jeunes gens les sentiments d’honneur et de vengeance. Ils se dirent les uns aux autres ouvertement que, la nuit prochaine, il y aurait des vitres brisées ; et quelques amis, qui étaient venus m’annoncer qu’on était à l’œuvre, durent me conduire sur la place : car les jeunes gens et la foule sont toujours attirés par le tumulte et le danger. Nous vîmes en effet un singulier spectacle, La rue, d’ailleurs libre, était occupée, d’un côté, par des hommes tout à fait tranquilles, qui, sans mouvement et sans bruit, observaient ce qui allait arriver. Dans l’espace vide, une douzaine de jeunes gens passaient et repassaient un à un, avec l’air d’un calme parfait, mais, aussitôt qu’ils étaient parvenus devant la maison désignée, ils jetaient en passant des pierres aux fenêtres, et ils répétèrent leur action en allant et venant, aussi longtemps qu’il y eut des vitres à briser. Toute la scène s’acheva aussi tranquillement qu’elle avait commencé, et l’affaire n’eut pas d’autres suites.

Au milieu du vacarme de ces exploits universitaires, je quittai Leipzig, au mois de septembre 1768, dans l’équipage commode d’un voiturier, avec d’honnêtes personnes de ma connaissance. Dans les environs d’Auertstadt, mon accident me revint à la