Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/324

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la queue blanche du taureau magique, tandis que l’animal vomissant des flammes et Jason, qui le combattait, étaient complètement couverts par cette riche draperie.

À cette vue, toutes les maximes dont je m’étais imbu à l’école d’Œser se réveillèrent. Que l’on eût placé le Christ et les Apôtres dans les salles latérales d’un édifice nuptial, c’était déjà une faute de goût et d’intelligence, et sans doute la mesure des chambres avait servi de règle au conservateur des tapisseries royales ; toutefois je l’excusais volontiers, parce que j’en avais tiré un grand avantage : mais un contre-sens comme celui de la grande salle me mit hors de moi, et je prenais avec chaleur et véhémence mes camarades à témoin d’un pareil crime contre le goût et le sentiment. « Quoi ! m’écriai-je, sans m’inquiéter des assistants, est-il permis de mettre si inconsidérément sous les yeux d’une jeune reine, dès le premier pas qu’elle fait dans son royaume, l’exemple des plus horribles noces qui furent peut-être jamais célébrées ? N’y a-t-il donc parmi les architectes, les décorateurs, les tapissiers français, personne qui comprenne que les tableaux représentent quelque chose, que les tableaux agissent sur l’esprit et le cœur, qu’ils font des impressions, qu’ils éveillent des pressentiments ? C’est comme si l’on avait envoyé à la frontière, au-devant de cette belle et vive princesse, le plus effroyable fantôme ! » Je ne sais ce que je dis encore ; mais enfin mes camarades, craignant un esclandre, firent leurs efforts pour me calmer et pour m’entraîner hors de la salle. Après quoi ils m’assurèrent que tout le monde ne va pas chercher un sens dans les tableaux : que, pour eux, ils n’y auraient pas songé, et que la population tout entière de Strasbourg et des environs, quelle que fût son affluence, non plus que la reine elle-même et sa cour, n’aurait jamais de pareilles visions.

Je me rappelle encore très-bien la belle et noble figure, la physionomie aussi sereine qu’imposante de l’auguste fiancée. Dans son carrosse à glaces, où nous pouvions la voir parfaitement, elle semblait causer familièrement avec les dames de sa suite et plaisanter sur la foule qui affluait à son passage. Le soir, nous parcourûmes les rues pour voir les divers édifices illuminés, mais surtout la flèche enflammée de la cathédrale,