force, tantôt comme une faiblesse, ces efforts furent bien secondés par la vie libre, sociale, mobile, qui m’attirait toujours davantage, à laquelle je m’accoutumais, et dont j’appris enfin à jouir avec une pleine liberté. Il n’est pas difficile d’en faire l’observation dans le monde, l’homme né se sent jamais plus entièrement affranchi de ses défauts que lorsqu’il ouvre les yeux sur les défauts d’autrui, et qu’il se donne le plaisir de les fronder à son aise. Nous éprouvons déjà un sentiment assez agréable à nous mettre au-dessus de nos égaux par le blâme et la médisance ; c’est pourquoi la bonne compagnie, dans ses grandes ou ses petites assemblées, s’y livre elle-même très-volontiers. Mais rien n’égale la satisfaction que nous goûtons à nous ériger en juges des chefs et des supérieurs, des princes et des hommes d’État ; à trouver les institutions publiques vicieuses et mauvaises, à ne voir que les obstacles possibles et réels, sans reconnaître ni la grandeur de l’intention, ni le concours que l’on peut espérer du temps et des circonstances dans toutes les entreprises. Quiconque se rappelle la situation du royaume de France, et en puise dans les écrits plus récents la connaissance exacte et détaillée, se représentera sans peine comment on devait parler alors dans l’Alsace demi-française du roi et de ses ministres, de la cour et des favoris. C’étaient, pour mon désir de m’instruire, des objets nouveaux, et l’impertinence, la vanité juvénile, s’en accommodaient à merveille. J’observais tout exactement ; je le notais assidûment, et je vois, par le peu qui reste, que ces relations, bien qu’elles fussent composées dans le moment de fables et de rumeurs générales, incertaines, ont toujours dans la suite quelque valeur, parce qu’elles servent à relier et à comparer les choses secrètes, enfin divulguées, avec ce qui était dès lors découvert et public ; les jugements justes ou faux des contemporains, avec les convictions de la postérité.
Nous trouvions singulier, nous autres flâneurs, et nous avions journellement sous les yeux, le projet pour l’embellissement de la ville, qui commençait, d’une étrange manière, à s’exécuter d’après les esquisses et les plans. L’intendant Gayot avait entrepris de transformer les rues tortueuses et irrégulières de Strasbourg et de bâtir une belle et imposante ville, tirée au