Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/347

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terie ; et, comme j’avais déjà quelque pratique, je parvins bientôt à le contenter, et j’obtins son approbation.

Une circonstance particulière facilitait beaucoup l’enseignement du maître : il avait deux filles, jolies l’une et l’autre, et qui n’avaient pas vingt ans : formées à la danse dès leur bas âge, elles s’y montraient fort habiles, et, avec de si gentilles partenaires, l’écolier le plus maladroit n’aurait pas manqué de faire quelque progrès. Elles étaient toutes deux fort gentilles ; elles ne parlaient que le français. Je m’observai de mon côté, pour ne pas leur sembler gauche et ridicule. J’eus le bonheur de recevoir leurs éloges ; elles étaient toujours disposées à danser un menuet, au son de la pochette du papa ; et même, ce qui devait les fatiguer davantage, à m’enseigner peu à peu à valser. Au reste, le père ne paraissait pas avoir beaucoup d’élèves, et elles menaient une vie solitaire. Aussi me priaient-elles quelquefois de rester auprès d’elles après la leçon, et de passer quelques moments à causer. Je le faisais d’autant plus volontiers que la cadette me plaisait beaucoup, et que leur tenue était d’une décence parfaite. Je leur lisais quelques pages de roman ; elles lisaient à leur tour. L’aînée, qui était aussi jolie, plus jolie peut-être encore que la cadette, mais qui me plaisait moins, était beaucoup plus obligeante avec moi et, en tout, plus complaisante. Elle était toujours prête pour la leçon, et la prolongeait quelquefois, en sorte que je croyais devoir offrir au père deux cachets, mais il ne les acceptait pas. La cadette, au contraire, sans manquer de politesse avec moi, était plutôt réservée, et se laissait appeler par son père pour relever son aînée.

J’en sus la cause un soir. Au moment où je voulais, après la leçon, passer dans le salon avec l’aînée, elle me retint et me dit : « Restons encore un peu ici, car je vous avouerai que-ma sœur est avec une tireuse de cartes, qui doit lui découvrir les sentiments d’un ami absent, unique objet de ses espérances, et qui possède tout son cœur. Le mien est libre, ajouta-t-elle, et il faudra que je m’accoutume à le voir dédaigné. » Je lui tins là-dessus quelques propos aimables, ajoutant que, pour savoir ce qui en était, elle devait d’abord consulter la devineresse ; que j’en ferais autant, ayant depuis longtemps désiré d’être