Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/354

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sainte, et qu’il s’attacha dans sa conduite à la pureté la plus attentive. Dans son âge avancé, il éprouvait encore une inquiétude extraordinaire de ce qu’il avait voué son premier amour à une dame qui, devenue la femme d’un autre, l’avait laissé incertain qu’elle l’eût réellement aimé et eût été digne de lui. Les sentiments qui l’unirent avec Méta, cet amour paisible et profond, cette union sainte et passagère, l’éloignement de l’époux survivant pour un second mariage, tout cela est d’une telle nature qu’on peut se le rappeler encore dans la société des bienheureux.

Ce respect de lui-même fut encore augmenté par l’hospitalité qu’il reçut chez les Danois, ses amis, dans la maison d’un grand homme d’État, qui était en même temps un noble caractère. Là, dans une haute société, fermée, il est vrai, mais qui avait aussi de la politesse et des attentions pour le monde, la tendance du poëte se prononça plus encore. Une conduite réservée, une parole-mesurée, brève, même quand il s’exprimait d’une manière ouverte et décidée, lui donnèrent un peu, toute sa vie, un air du ministre et de diplomate, qui semblait en contradiction avec sa tendresse naturelle, et qui découlait pourtant de la même source. Tout cela, ses premiers ouvrages en offrent une image et une idée pures, et ils durent exercer une incroyable influence. Mais, que Klopstock ait soutenu personnellement ses émules dans leurs travaux et leur carrière, on ne l’a guère présenté comme une de ses qualités prononcées.

Ces encouragements donnés aux jeunes gens dans leurs travaux littéraires, ce plaisir d’avancer des hommes d’une belle espérance et maltraités de la fortune, et de leur faciliter la voie, ont illustré un Allemand, qu’il faut nommer le second pour la dignité à laquelle il s’éleva, mais le premier au point de vue de l’influence personnelle. Chacun devine que je veux parler de Gleim. En possession d’un emploi obscur mais lucratif, habitant une ville bien située, pas trop grande, animée par une activité militaire, civile et littéraire, d’où se répandaient les revenus d’une grande et riche institution, non sans qu’une partie demeurât pour la prospérité de la ville, Gleim sentait en lui une vive et féconde impulsion, qui, tout énergique qu’elle était, ne suffisait pas à le satisfaire : c’est pourquoi il s’abandonna à une autre impulsion plus puissante peut-être, celle d’encourager les autres à produire. Ces deux activités s’entrelacèrent constamment pendant sa longue carrière. Il se serait tout autant passé de respirer que de faire des vers et des largesses, et, en tirant de la gêne, dans les embarras du jeune âge ou de l’âge avancé, tout mérite indigent, en soutenant ainsi l’honneur de la littérature, il se fit tant d’amis, de débiteurs et de clients, qu’on lui passait volontiers sa poésie diffuse, parce qu’on ne pouvait autrement reconnaître ses larges bienfaits qu’en supportant ses vers.

La haute idée que ces deux hommes osèrent se faire de leur mérite, et qui en porta d’autres à se compter aussi pour quelque chose, produisit en public et en particulier de très-grands et très-heureux effets. Mais ce sentiment, si honorable qu’il soit, amena pour eux-mêmes, pour leur entourage et leur époque, une conséquence fâcheuse. Si l’on peut, sans balancer, déclarer grands ces deux hommes, sous le rapport de leur action