Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/383

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du Rhin nous mirent de joyeuse humeur. Nous fîmes halte un moment à Drousenheim, Weyland, pour faire sa toilette, et moi, pour me rappeler mon rôle, dont je craignais de sortir dans l’occasion. La contrée offre le caractère de la libre plaine d’Alsace. Nous suivîmes un gracieux sentier à travers les prairies, et, bientôt arrivés à Sesenheim, nous laissâmes nos chevaux à l’auberge pour nous rendre tranquillement au presbytère.

« Ne sois pas surpris, me dit Weyland, en me montrant de loin la maison, qu’elle ait l’apparence d’une vieille et mauvaise cabane : le dedans n’en est que plus jeune. » Nous entrâmes dans la cour, l’ensemble me plut : il avait justement le caractère qu’on nomme pittoresque, et dont la magie m’avait charmé dans la peinture néerlandaise. L’effet que le temps produit sur tous les ouvrages de l’homme y était visible et frappant. La maison, la grange et l’écurie étaient justement à ce point de dégradation, où l’on ne sait si l’on doit réparer ou rebâtir, et où l’indécision fait négliger l’un sans qu’on se puisse résoudre à l’autre.

Tout était tranquille et désert dans le village comme dans la cour. Nous trouvâmes le père, petit homme renfermé en lui-même et pourtant affable. Il était seul ; la famille était aux champs. Il nous salua et voulut nous offrir des rafraîchissements, que nous refusâmes. Mon ami courut à la recherche des dames, et je restai seul avec notre hôte. « Vous êtes surpris peut-être, me dit-il, de me voir si mal logé dans un riche village et avec un bon traitement. Cela vient, poursuivit-il, de l’irrésolution. La paroisse et même l’autorité supérieure m’ont promis depuis longtemps de rebâtir à neuf la maison. On a déjà fait, on a examiné et changé plusieurs plans : aucun n’a été complètement rejeté et aucun exécuté. Cela dure depuis tant d’années, que j’ai de la peine à contenir mon impatience. » Je lui répondis ce que je crus convenable, pour nourrir son espérance et l’encourager à pousser l’affaire plus vivement. Il continua, me dépeignit avec abandon les personnes de qui ces choses dépendaient, et, quoiqu’il ne fût pas un grand peintre de caractères, je pus très-bien comprendre ce qui empêchait toute l’affaire de marcher. La confiance qu’il me témoignait avait quelque chose de particulier : il me parlait comme s’il m’eût connu depuis dix ans, sans que rien dans son regard pût me faire supposer que j’eusse