Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/385

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confus de m’égayer aux dépens de si bonnes gens. J’eus tout le loisir de les observer, car les jeunes filles poursuivirent la conversation commencée, et elles y mirent de la verve et de la gaieté. Les voisins et les parents furent tous passés en revue une seconde fois, et mon imagination vit paraître un tel essaim d’oncles et de tantes, de cousins et de cousines, d’allants et de venants, d’hôtes et de compères, que je croyais me trouver dans le monde le plus vivant. Tous les membres de la famille m’avaient dit quelques mots ; la mère m’observait chaque fois qu’elle entrait ou sortait : cependant Frédérique fut la première qui lia conversation avec moi ; et, comme je pris et parcourus des cahiers de musique que je trouvais épars, elle me demanda si je jouais du clavecin. Sur ma réponse affirmative, elle me demanda de jouer quelque chose. Mais le père ne le voulut pas souffrir, soutenant qu’il convenait avant tout que l’hôte fût régalé d’un morceau de musique ou d’une chanson. Frédérique joua plusieurs morceaux avec quelque facilité, de la façon qu’on joue d’ordinaire à la campagne, et sur un clavecin que le maître d’école aurait dû accorder depuis longtemps, s’il en avait eu le loisir. Ensuite elle essaya de chanter une romance tendre et mélancolique, mais elle n’y réussit point. Elle se leva et dit en souriant, ou plutôt avec l’expression de gaieté sereine toujours empreinte sur son visage : « Si je chante mal, je ne puis en rejeter la faute sur le clavecin et sur le maître d’école : patience, quand nous serons là dehors, vous entendrez mes chansons suisses et alsaciennes, qui sont bien plus jolies. »

Pendant le souper, je fus occupé d’une idée qui m’avait déjà saisi auparavant, au point que j’en devins rêveur et muet, malgré la vivacité de la sœur aînée et la grâce de la cadette, qui m’arrachaient assez souvent à mes réflexions. Ma surprise était inexprimable, de me trouver si visiblement dans la famille du vicaire de Wakefield. Le père ne pouvait sans doute être comparé à cet homme excellent ; mais où trouver son égal ? En revanche, toute la dignité qui appartient à l’époux dans le roman se trouvait ici dans l’épouse. On ne pouvait la regarder sans éprouver un sentiment de respect et de crainte. On remarquait chez elle les traces d’une bonne éducation ; ses manières étaient calmes, aisées, gracieuses, engageantes. Si la