Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle faisait du petit monde dans lequel elle vivait, et des personnes qu’elle estimait particulièrement. Elle me donna ainsi, de sa position, une idée claire et en même temps pleine de charme, qui me fit une impression très-singulière, car je sentis tout à coup un profond chagrin de n’avoir pas vécu plus tôt auprès d’elle, et en même temps un sentiment très-pénible et jaloux à l’égard de tous ceux qui avaient eu jusqu’alors le honneur de l’entourer. J’observais avec une attention minutieuse, comme si j’en avais eu le droit, tous les hommes dont elle me faisait la peinture, qu’ils se présentassent sous le nom de voisins, de cousins ou de compères, et je dirigeais mes soupçons tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. Mais comment aurais-je découvert quelque chose, dans la complète ignorance où j’étais de toutes ses relations ? Elle devint toujours plus causeuse, et moi plus silencieux. C’était si charmant de l’écouter ! Et comme je ne faisais qu’entendre sa voix, tandis que les traits de son visage se voilaient, comme toute la nature, dans le crépuscule, il me semblait voir dans son cœur, que je devais trouver bien pur, quand il s’ouvrait devant moi dans un babil si naïf.

A peine mon camarade fut-il avec moi dans la chambre d’ami qu’on nous avait préparée, qu’il débita avec suffisance d’agréables plaisanteries, et se félicita hautement de la surprise qu’il m’avait faite d’une famille semblable à celle de Primerose. J’abondai dans son sens, et je lui en témoignai ma reconnaissance. « En vérité, s’écria-t-il, c’est toute l’histoire ! Cette famille peut fort bien se comparer à l’autre, et le monsieur déguisé peut se faire l’honneur de figurer, s’il lui plaît, M. Burchell. Au reste, comme les traîtres ne sont pas aussi nécessaires dans la vie ordinaire que dans les romans, je veux, pour cette fois, prendre le rôle du neveu, et me conduire mieux que lui. » Si agréable que fût pour moi ce sujet de conversation, je le quittai néanmoins sur-le-champ, et je demandai, avant tout, à Weyland de me dire en conscience s’il ne m’avait pas trahi. Il m’assura que non, et je dus le croire. « Ces dames, ajouta-t-il, l’avaient même questionné sur son plaisant commensal de Strasbourg, dont on leur avait conté tant de folies. • Je passai ensuite à d’autres questions. Avait-elle aimé ? Aivait-elle ? Était-elle promise ? Il m’assura que non. « Vraiment,