Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/389

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de l’escalier, hors de la maison et de la cour, à l’auberge. En un clin d’œil mon cheval fut sellé, et, dans mon furieux dépit, je galopai jusqu’à Drousenheim, et au travers, et plus loin.

Quand je me crus en sûreté, j’allai plus lentement, et je commençai à sentir avec quel regret infini je m’éloignais. Toutefois je me résignais à mon sort ; je me représentais avec le calme le plus grand la promenade de la veille, et je nourrissais la secrète espérance de revoir bientôt Frédérique. Mais ce sentiment paisible se changea bientôt en impatience, et je résolus de courir à Strasbourg, de changer d’habits, de prendre un bon cheval frais. Je pouvais bien, comme la passion me le persuadait, être de retour avant dîner, ou, plus vraisemblablement, pour le souper, ou, certainement, vers le soir, et obtenir mon pardon. J’allais donner de l’éperon à mon cheval pour exécuter ce projet, lorsqu’une autre idée, qui me parut très-heureuse, me traversa l’esprit. J’avais vu, la veille, dans l’auberge de Drousenheim, un fils de la maison très-proprement vêtu, qui, ce matin encore, livré à des occupations champêtres, m’avait salué de sa cour. Il était de ma taille et m’avait fait vaguement souvenir de moi. Sans hésiter, je tourne bride, et je suis bientôt à Drousenheim. Je mets mon cheval à l’écurie, et je propose tout uniment au jeune garçon de me prêter ses habits, parce que j’ai dans la tête un badinage pour Sesenheim. Je n’eus pas besoin d’achever : il accepta ma proposition avec joie, et m’approuva de vouloir divertir ces demoiselles. Elles étaient si gentilles et si bonnes, surtout mamselle Rique, et les parents aussi voyaient avec plaisir que tout allât gaiement chez eux. Il me regarda attentivement, et, comme il pouvait, sur mon accoutrement, me prendre pour un pauvre diable : « Si vous voulez, dit-il, vous insinuer, c’est le bon moyen. »

Cependant nous étions déjà bien avancés dans le changement de costume, et, véritablement, il n’aurait pas dû me confier ses habits de fête en échange des miens, mais il n’était point soupçonneux, et puis il avait mon cheval dans son écurie. Je fus vite prêt et bien paré ; je me rengorgeais et mon compagnon parut contempler avec satisfaction son image. « Tope, monsieur mon frère ! dit-il, en me tendant la main, dans laquelle je frappai fort ; n’approchez pas trop de ma belle : elle pourrait s’y