Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/481

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naire, mais ces messieurs s’en firent servir de meilleur, et ils ne manquèrent pas de m’en faire part. Après avoir discouru sur beaucoup d’affaires du jour, la conversation passa aux matières générales, et l’on traita la question, qui reviendra toujours, aussi longtemps qu’il y aura des auteurs, de savoir si la littérature était en progrès ou en décadence. Cette question, sur laquelle les vieux et les jeunes, les débutants et les émérites, s’entendent rarement, on l’a traita gaiement, sans avoir trop l’intention de se mettre sérieusement d’accord. Enfin je pris la parole et je dis : « Il me semble que les littératures ont leurs saisons, qui, se succédant, comme dans la nature, produisent certains phénomènes et se répètent successivement. Je ne crois donc pas qu’on puisse louer ou blâmer absolument aucune époque d’une littérature. Surtout je n’aime pas à voir qu’on exalte et qu’on glorifie et que, d’un autre côté, on critique et l’on rabaisse certains talents que la saison fait naître. Le gosier du rossignol est animé par le printemps, mais il en est de même de la gorge du coucou. Les papillons, qui sont le plaisir des yeux, et les moucherons, si importuns, sont éveillés également par la chaleur du soleil. Si l’on se pénétrait bien de cette vérité, on ne répéterait pas tous les dix ans les mêmes plaintes, et l’on ne prendrait pas si souvent la peine inutile d’extirper tel ou tel mal. »

La société me regardait avec étonnement, se demandant d’où me venait tant de sagesse et de tolérance ; mais je continuai, avec une tranquillité parfaite, à comparer les phénomènes littéraires aux productions matérielles, et je ne sais comment j’arrivai même aux mollusques, et sus débiter sur leur compte mille excentricités. « C’étaient des créatures, disais-je, auxquelles on ne pouvait contester une espèce de corps et même une certaine forme ; mais, comme elles n’ont point d’os, on ne sait proprement qu’en faire, et ce n’est qu’une mucosité vivante : il faut cependant que la mer ait aussi de pareils habitants. » Comme je poursuivais la comparaison au delà des bornes convenables, pour désigner Schmid et cette race de littérateurs sans caractère, on me fit observer qu’une comparaison poussée trop loin finissait par n’être plus rien. « Eh bien, je reviens sur terre, répliquai-je, et je parlerai du lierre. Comme les