Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/499

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scènes les plus bizarres, et, si l’on est accoutumé aux œuvres soutenues, on se voit à regret poussé à la fin dans un espace sans bornes. De plus, il règne dans ces ouvrages une grossièreté, une indécence, une barbarie, si insupportables, qu’il serait difficile de faire disparaître du plan et des caractères tous ces défauts. C’est une nourriture grossière, et en même temps dangereuse, qu’une grande masse de peuple, à demi corrompue, a pu seule recevoir et digérer quelque temps. Schrœder a mis du sien dans ces ouvrages plus qu’on ne le croit communément ; il les a transformés, les a appropriés au caractère allemand et adoucis autant que possible. Mais il y reste toujours un fond de dureté, parce que la plaisanterie roule très-souvent sur les mauvais traitements essuyés par des personnes coupables ou innocentes. Ces peintures, qui se répandirent également sur le théâtre, formèrent un contre-poids secret à la moralité efféminée, et l’effet réciproque des deux genres empêcha heureusement l’uniformité, dans laquelle on serait tombé sans cela.

L’Allemand, bon et généreux de sa nature, ne veut voir maltraiter personne : mais, comme, avec toute sa bienveillance, un homme n’est jamais assuré qu’on ne lui fera pas souffrir quelque chose contre son inclination, la comédie, si elle veut plaire, doit supposer ou réveiller toujours chez le spectateur quelque maligne joie, et c’est ainsi qu’on fut entraîné, par une pente naturelle, à une manière d’agir jusqu’alors considérée comme contraire à la nature, et qui consistait à rabaisser les hautes classes et à les attaquer plus ou moins. La satire, en prose et en vers, s’était toujours gardée de toucher à la cour et à la noblesse. Rabener s’interdit de ce côté toute raillerie et demeura dans une sphère inférieure. Zaccharie s’occupa beaucoup des gentilshommes campagnards ; il retrace comiquement, mais sans mépris, leurs fantaisies et leurs singularités. Wilhelmine de Thummel, petite composition pleine d’esprit, aussi agréable que hardie, eut un grand succès, peut-être moine parce que l’auteur, qui était noble et courtisan, traitait sa propre classe sans trop de ménagement. Cependant ce fut Lessing qui fit le pas le plus décisif, dans Emilia Galotti, où les passions et les artifices des hautes régions sont retracés d’un ton amer et incisif. Toutes ces choses allaient parfaitement à l’agitation de l’époque, et des hommes de peu d’esprit et de talent se crurent permis d’en faire autant ou même davantage. C’est ainsi que Grossmann servit au public malin, dans « six plats » fort peu appétissants, toutes les friandises de sa cuisine populaire. Un brave homme, le conseiller aulique Reinhart, remplissait, à celle table déplaisante, les fonctions de majordome, à la grande joie de tous les convives. Dès lors on choisit toujours les scélérats de théâtre dans les classes supérieures ; le personnage devait être gentilhomme de la chambre ou tout au moins secrétaire intime, pour se rendre digne d’une pareille distinction. Les figures les plus abominables étaient choisies parmi les charges et les offices de la cour et de l’état civil dans l’almanach des adresses, et, dans cette société d’élite, les officiers de justice trouvaient leur place, comme scélérats de première instance. Mais, comme je crains d’avoir déjà franchi les limites de l’époque dont il peut être ici question, je reviens ace qui me regarde et au besoin que je sentais de m’occuper dans mes loisirs de mes plans dramatiques.