Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/511

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écuyer de ne pas le laisser tomber dans les mains des ennemis, c’est encore une force extérieure dont il s’assure : seulement c’est une force morale au lieu d’une force physique. Les femmes cherchent dans l’eau l’apaisement de leur désespoir, et le moyen essentiellement mécanique de l’arme à feu assure un prompt effet avec le plus léger effort. On ne parle guère de la pendaison, qui est une mort ignoble. C’est en Angleterre que ce cas doit être le plus fréquent, parce qu’on y est accoutumé dès l’enfance à voir pendre nombre de gens, sans que la mort soit précisément déshonorante. Avec le poison, avec l’ouverture des veines, on se propose de ne quitter la vie que lentement, et la mort la plus raffinée, la plus prompte, la moins douloureuse, par la blessure d’un aspic, était digne d’une reine qui avait passé sa vie dans le faste et les plaisirs. Mais tout cela sont des ressources extérieures, ce sont des ennemis avec lesquels l’homme conclut une alliance contre lui-même.


Quand je passais en revue tous ces moyens et que je consultais l’histoire, je ne trouvais, parmi tous ceux qui se sont ôté la vie, personne qui eût accompli cet acte avec autant de grandeur et de liberté morale que l’empereur Othon. Son armée avait éprouvé un échec, il est vrai, mais il n’était point réduit à l’extrémité, et, pour le bien de l’empire, dont il était déjà presque maître, pour épargner des milliers d’hommes, il se détermine à quitter ce monde. Il soupe gaiement avec ses amis, et l’on trouve, le lendemain, qu’il s’est enfoncé de sa propre main un poignard aigu dans le cœur. Voilà l’unique suicide qui me parût digne d’être imité, et je me persuadai que celui qui ne pouvait agir en cela comme Othon ne devait pas se permettre de quitter volontairement la vie. Cette conviction me sauva, je ne dirai pas du projet, mais de la fantaisie du suicide, qui, dans ces beaux temps de paix, s’était insinuée chez une jeunesse oisive. Parmi une remarquable collection d’armes, je possédais entre autres un précieux poignard bien affilé : je le plaçais tous les soirs auprès de mon lit, et, avant d’éteindre la lumière, j’essayais si je saurais bien m’enfoncer à deux ou trois pouces la pointe aiguë dans la poitrine. Mais ne pouvant jamais en venir à bout, je finis par rire de moi-même ; je rejetai loin de moi toutes ces sombres folies, et je résolus de vivre. Cependant, pour vivre avec sérénité, j’avais besoin d’exécuter une œuvre poétique où serait exposé tout ce que j’avais senti, pensé et rêvé sur ce point important. J’en rassemblai les éléments, qui fermentaient dans mon esprit depuis quelques années ; je me