Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/514

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tenait pas directement à mon dessein. En revanche, je rassemblai tout ce qui s’y rapportait, et je me retraçai mes dernières aventures, dont je n’avais fait encore aucun usage poétique. Dans ces circonstances, après tant et de si longs préparatifs secrets, j’écrivis Werther en quatre semaines, sans avoir auparavant jeté sur le papier aucun plan de l’ensemble ni traité aucune de ses parties.

J’avais donc sous les yeux mon brouillon, avec un petit nombre de corrections et de changements. Je le fis aussitôt brocher : car la brochure est à un écrit ce que le cadre est à un tableau ; par elle, on voit beaucoup mieux s’il forme un tout. Comme j’avais écrit ce petit ouvrage d’une manière assez inconsciente et comme un somnambule, il m’étonna moi-même quand je le relus, dans l’intention d’y faire quelques changements et quelques corrections. Toutefois, dans l’espérance qu’au bout d’un certain temps, quand je le verrais à une certaine distance, il me viendrait quelques idées dont il pourrait profiter, je le donnai à lire à mes jeunes amis, sur lesquels il produisit une impression d’autant plus grande que, contre ma coutume, je n’en avais parlé d’avance à personne, et n’avais point découvert mon dessein. A vrai dire, cette fois encore, ce fut proprement le fonds qui produisit l’effet, et, par là, leurs dispositions se trouvèrent justement le contraire des miennes : car, par cette composition plus que par toute autre, je m’étais délivré d’un élément orageux, sur lequel ma faute et celle d’autrui, la vie qui m’était échue et celle que je m’étais choisie, la volonté et la précipitation, l’obstination et la condescendance, m’avaient ballotté avec une violence extrême. Je me sentais, comme après une confession générale, redevenu libre et joyeux, et en droit de commencer une vie nouvelle. Cette fois encore, la vieille recette m’avait parfaitement réussi. Mais, tout comme je me sentais soulagé et éclairé, pour avoir transformé la réalité en poésie, mes amis tombèrent dans l’erreur de croire qu’il fallait transformer la poésie en réalité, imiter le roman et, au besoin, se brûler la cervelle. Ce qui se passa d’abord dans un petit cercle arriva ensuite dans le grand public, et ce petit livre, qui m’avait été si utile, fut décrié comme nuisible au plus haut point.

Cependant tous les maux et les malheurs qu’on l’accuse