génie une très-haute estime, le pressant toutefois sans relâche de renoncer à ses divagations et de mettre à profit, d’une manière conforme aux règles de l’art, le talent plastique qu’il avait reçu de la nature. Je répondis amicalement à sa confiance, et, comme il me demandait l’union la plus intime, ainsi que le faisait entendre le titre bizarre de son écrit, je lui communiquai dès lors tous mes travaux, déjà terminés ou en projet. Il m’envoya en échange, l’un après l’autre, ses manuscrits, le Gouverneur, le Nouveau Menoza, les Soldats, ses Comédies imitées de Plaute, et cette traduction de la pièce de Shakspeare qu’il a donnée comme supplément à ses Remarques sur le théâtre.
Je fus surpris de lire, dans un court avant-propos, placé en tête de ce dernier écrit, qui attaquait vivement le théâtre régulier, que le fond de ce mémoire avait été lu quelques années auparavant, dans une société d’amis de la littérature, et, par conséquent, à une époque où Gœtz n’avait pas encore paru. Qu’il eût existé, dans le monde que Lenz fréquentait à Strasbourg, une société littéraire dont je n’aurais pas eu connaissance, la chose me semblait assez problématique ; mais je ne m’y arrêtai pas et je procurai bientôt à Lenz un éditeur pour cet ouvrage, comme pour les autres, sans me douter le moins du monde qu’il m’avait choisi pour objet principal de sa haine fantastique, et pour but d’une bizarre et capricieuse persécution.
C’est le lieu de nommer encore, en passant, un des membres de notre société, qui, sans avoir des talents extraordinaires, méritait pourtant d’être compté. C’était Wagner. Membre de notre cercle à Strasbourg, puis à Francfort, il ne manquait pas d’esprit, de talent et d’instruction. Il montrait du zèle et il était bien reçu. Il rechercha aussi ma confiance, et, comme je ne faisais point mystère de mes travaux, je lui confiai, ainsi qu’à d’autres, mon plan de Faust et particulièrement la catastrophe de Marguerite. Il s’empara du sujet et le traita dans une tragédie qu’il intitula L’Infanticide. C’était la première fois qu’on me dérobait un de mes projets. J’en fus peiné, sans lui en garder rancune. Ces larcins de pensées et ces prélèvements, je les ai connus assez souvent dans la suite, et mes lenteurs, ma disposition à jaser de mes projets et de mes inventions, m’ôtaient le droit de me plaindre.
Si les orateurs et les écrivains, considérant le grand effet que les contrastes produisent, en usent volontiers, quand ils devraient même les chercher et les amener, il doit m’être agréable de rencontrer ici une opposition décidée et d’avoir à parler de Klinger après Lenz. Ils étaient du même âge, et, dans leur jeunesse, ils parurent comme deux émules ; mais Lenz passa comme un météore sur l’horizon de la littérature allemande, et disparut soudain sans laisser une trace après lui. Klinger, au contraire, se maintient encore aujourd’hui comme auteur influent et administrateur diligent. Sans poursuivre une comparaison qui se présente d’elle-même, je parlerai de lui en tant qu’il est nécessaire, car ce n’est pas en secret qu’il a tant produit et agi, mais, à l’un et l’autre égard, il est encore en bon souvenir et en bonne renommée dans le public et chez ses amis.
J’aime à parler d’abord de l’extérieur des personnes. Celui de Klinger