Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/547

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éprouvait d’inexprimables besoins spirituels ; lui aussi, il refusait de les apaiser par des secours, étrangers ; il voulait se former et s’éclairer par lui-même. Ce qu’il me communiquait sur l’état de son être moral, je ne pouvais le comprendre, d’autant moins que je ne pouvais me faire aucune idée du mien. Bien plus avancé que moi dans la méditation philosophique, même dans l’étude de Spinoza, il cherchait à diriger, à éclairer, mes aveugles efforts. Cette pure parenté intellectuelle était nouvelle pour moi, et m’inspirait un ardent désir de continuer ces échanges d’idées. La nuit, quand nous étions déjà séparés et retirés dans nos chambres, j’allais le visiter encore ; le reflet de la lune tremblait sur le large fleuve, et nous, à la fenêtre, nous nous abandonnions avec délices aux épanchements mutuels, qui jaillissent avec tant d’abondance dans ces heures admirables d’épanouissement.

Toutefois, je ne saurais aujourd’hui rendre compte de ces choses, qui sont inexprimables. Je me rappelle beaucoup mieux une course au château de chasse de Bensberg, situé sur la rive droite du Rhin, et d’où l’on jouissait d’une vue magnifique. Ce qui excita mon ravissement dans cette demeure, ce furent les décorations des murs par Weenix. Tous les animaux que la chasse peut fournir étaient rangés alentour, comme sur le socle d’un grand portique ; au-dessus, la vue s’étendait dans un vaste paysage. Pour animer ces créatures inanimées, cet homme extraordinaire avait épuisé tout son talent, et, dans la peinture des vêtements divers des animaux, des soies, des poils, des plumes, du bois, des griffes, il avait égalé la nature ; sous le rapport de l’effet, il l’avait surpassée. Lorsqu’on avait assez admiré dans l’ensemble le travail de l’artiste, on était amené à réfléchir aux procédés par lesquels de pareilles peintures pouvaient être produites avec autant de génie que d’exactitude. On ne comprenait pas comment elles étaient sorties de la main de l’homme ni de quels instruments il s’était servi. Le pinceau n’était pas suffisant ; il fallait admettre des procédés tout particuliers, qui avaient rendu possibles des effets si variés. On s’approchait, on s’éloignait avec une égale surprise ; la cause était aussi admirable que l’effet.

Nous continuâmes à descendre le Rhin, et notre promenade