Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/549

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et belles et satisfaisantes pour le cœur n’a-t-il pas produites ! Nous nous quittâmes enfin dans le délicieux sentiment d’une éternelle union, bien éloignés de pressentir que nos tendances suivraient une direction opposée, comme il ne parut que trop par la suite.

Ce qui m’arriva au retour, en remontant le Rhin, s’est complètement effacé de mon souvenir, soit parce que la seconde rencontre des objets se confond d’ordinaire dans la pensée avec la première, soit parce que, recueilli en moi-même, je m’efforçais de classer mes nombreuses observations, et de réfléchir à ce qui avait fait impression sur moi. Et je me propose actuellement de parler d’un important résultat, qui me donna pendant quelque temps beaucoup d’occupation en me sollicitant à produire.

Tandis que mes sentiments se donnaient libre carrière, que je vivais et agissais sans but et sans dessein, je ne pus manquer de reconnaître que Lavater et Basedow employaient des moyens intellectuels et même spirituels dans des vues terrestres. Moi, qui dissipais sans but mes talents et mes jours, je dus être bientôt frappé de voir que ces deux hommes, chacun à sa manière, en même temps qu’ils s’efforçaient d’enseigner, d’instruire et de convaincre, tenaient sous le manteau certains desseins, qu’ils avaient fort à cœur d’avancer. Lavater procédait’ avec ménagement et sagesse, Basedow, avec violence, avec témérité, même avec maladresse ; ils avaient l’un et l’autre une telle foi dans leurs fantaisies, leurs entreprises et l’excellence de leur œuvre, qu’il fallait rendre hommage à leur probité, les aimer et les honorer. On pouvait dire, surtout à la gloire de Lavaler, qu’il avait véritablement des desseins très-élèves, et, s’il usait de politique, il pouvait bien croire que la fin sanctifie les moyens. En les observant tous deux, même en leur découvrant librement mon opinion et en recevant en retour leurs confidences, je compris que l’homme éminent éprouve le désir de répandre au dehors l’idée divine qui est en lui ; mais ensuite il entre en contact avec le monde grossier, et, pour agir sur lui, il doit se mettre à sa mesure ; par là il sacrifie une grande partie de sa prééminence, et, à la fin, il s’en dessaisit tout à fait ; le divin, l’éternel, s’abaisse et s’incorpore en des vues terres-