Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/581

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à ses écrits, auxquels j’avais eu tant d’obligations, et je sentis l’impression du même souffle de paix. Je m’adonnai à cette lecture, et je crus, portant mes regards en moi-même, n’avoir jamais eu une vue aussi claire du monde.

Comme on a beaucoup disputé sur ce sujet, et particulièrement dans ces derniers temps, je désirerais n’être pas mal compris, et je tiens à placer ici quelques réflexions sur ce système si redouté et même si détesté. Notre vie physique et sociale, nos mœurs, nos habitudes, la politique, la philosophie, la religion et même les événements accidentels, tout nous appelle au renoncement. Il est beaucoup de choses qui nous appartiennent de la manière la plus intime, et que nous ne devons pas produire au dehors ; celles du dehors dont nous avons besoin pour le complément de notre existence nous sont refusées ; un grand nombre, au contraire, nous sont imposées, quoique étrangères et importunes. On nous dépouille de ce que nous avons acquis péniblement, de ce qu’on nous a dispensé avec bienveillance, et, avant que nous soyons bien éclairés là-dessus, nous nous trouvons contraints de renoncer, d’abord en détail, puis complètement, à notre personnalité. Ajoutez qu’il est passé en coutume qu’on n’estime pas celui qui en témoigne sa mauvaise humeur. Au contraire, plus le calice est amer, plus on doit montrer un visage serein, afin que le spectateur tranquille ne soit pas blessé par quelque grimace.

Pour accomplir cette tâche difticile, la nature a doté l’homme richement de force, d’activité et de persistance ; mais il est surtout secondé par la légèreté, son impérissable apanage. Par elle, il est capable, à chaque moment, de renoncer à une chose, pourvu qu’un moment après il en puisse saisir une nouvelle ; et c’est ainsi qu’à notre insu nous réparons sans cesse toute notre vie, nous mettons une passion à la place d’une autre ; occupations, inclinations, fantaisies, marottes, nous essayons lout, pour nous écrier à la fin que tout est vanité. Elle ne fait horreur à personne, cette maxime fausse et même blasphématoire ; bien plus, en la prononçant, on croit avoir dit quelque chose de sage et d’irréfutable. Il n’y a que peu d’hommes qui pressentent cette impression insupportable, et, qui, pour se dérober à toutes les résignations partielles, se résignent absolu-