Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/609

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faires civiles indifférentes, dont j’attendais aussi succès et contentement auprès de ma bien-aimée.

Dans cette situation singulière, que d’autres peuvent bien aussi avoir douloureusement connue, nous fûmes secourus par une amie qui jugea très-bien les rapports des personnes et les circonstances. C’était Mlle Delf. Elle était, avec sa sœur aînée, à la tête d’une petite maison de commerce à Heidelberg ; elle avait eu, en différentes occasions, beaucoup d’obligations à la grande maison de banque de Francfort. Elle avait connu et aimé Lili dès son enfance. C’était une personne singulière ; son air avait quelque chose de grave et de masculin, sa démarche était vive, égale, délibérée ; elle avait eu sujet de se plier aux exigences du monde, et, par là, elle le connaissait, du moins dans un certain sens. On ne pouvait pas la nommer intrigante. Elle observait longtemps les liaisons et méditait secrètement ses desseins ; mais ensuite elle avait le don de discerner l’occasion, et, quand elle voyait les sentiments des personnes flotter entre le doute et la résolution, quand il ne s’agissait plus que de se décider, elle savait agir avec une telle fermeté, qu’elle ne manquait guère de réaliser son projet. Elle n’avait proprement aucun but égoïste ; avoir fait, avoir accompli quelque chose, surtout avoir fait un mariage, était déjà pour elle une récompense. Elle avait longtemps observé notre liaison ; dans ses fréquents séjours à Francfort, elle avait approfondi la chose, et s’était enfin convaincue que cette inclination devait être favorisée ; que ces projets, honnêtement mais faiblement entrepris et poursuivis, devaient être secondés, et ce petit roman amené promptement à sa conclusion. Depuis nombre d’années, elle avait la confiance de la mère de Lili ; introduite par moi dans ma famille, elle avait su se rendre agréable à mes parents ; car ces manières brusques ne déplaisent point dans une ville impériale, et, avec un fonds de sagesse, elles sont même bienvenues. Elle connaissait très-bien nos vœux, nos espérances ; avec son goût pour agir, elle y vit une commission. Bref, elle négocia avec les parents. Comment s’y prit-elle ? Comment vint-elle à bout d’écarter les difficultés qui se présentèrent peut-être ? Je ne sais, mais, un soir, elle vient à nous et nous apporte le consentement. « Donnez-vous la main ! » dit-elle, avec sa manière pathétique et