gnons de voyage, je leur devins chaque jour plus étranger, sans que nous fussions moins bien ensemble. Nos parties de campagne ne correspondaient plus, mais nous avions encore dans la ville quelques rapports. Ils s’étaient aussi présentés chez Lavater, avec tout l’orgueil de jeunes gentilshommes, et ils produisirent sur l’habile observateur une autre impression que sur le reste du monde. Il s’en expliqua avec moi, et je me rappelle parfaitement, que, parlant de Léopold Stolberg, il s’écria : « Je ne vous conçois pas, vous autres. C’est un noble jeune homme, excellent et bien doué ; mais on me l’a dépeint comme un héros, comme un Hercule, et je n’ai vu de ma vie un jeune homme plus doux, plus délicat, et, lorsqu’il le faudra, plus facile à déterminer. Je suis encore bien éloigné d’une pénétration physiognomonique certaine, mais c’est pourtant trop affligeant de voir où vous en êtes, vous et la multitude. »
Depuis le voyage que Lavater avait entrepris dans le Bas-Rhin, sa personne et ses études inspiraient un bien plus vif intérêt. De nombreux visiteurs venaient à leur tour se pressera sa porte, si bien qu’il éprouvait quelque embarras d’être envisagé comme le premier des hommes d’Église et des hommes d’esprit, et considéré comme le seul qui attirât chez lui les étrangers. Pour échapper à l’envie et la disgrâce, il savait engager et encourager ceux qui le visitaient à témoigner aussi leur empressement et leur respect aux autres hommes marquants. Le vieux Bodmer était surtout signalé à l’attention, et nous dûmes l’aller voir et lui présenter nos jeunes hommages. Il demeurait sur un coteau, derrière la grande ou vieille ville, située sur la rive droite, à l’endroit où le lac se resserre et devient la Limmat ; nous traversâmes la vieille ville, et nous montâmes, par des sentiers toujours plus roides, la hauteur derrière les remparts, où s’était formé, d’une manière demi-champêtre, entre les fortifications et les anciens murs de la ville, un faubourg très-agréable, composé, soit de maisons juxtaposées, soit d’habitations éparses. Là se trouvait la maison de Bodmer, où il avait passé toute sa vie au milieu du paysage le plus libre et le plus gai, que nous avions déjà contemplé avec un extrême plaisir avant d’entrer, favorisés par la beauté et la sérénité du jour.