Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/101

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auprès d’un homme qui troublait absolument par d’effroyables soupirs le repos qui m’était si nécessaire. Je détachai la corde du piquet de la tenle, pour apprendre à connaître mon ennemi : c’était un de nos bons serviteurs. Il était enseveli dans un profond sommeil, à la clarté de la lune, comme un autre Endymion. L’impossibilité de goûter le repos dans un pareil voisinage, éveilla chez moi l’humeur maligne. Je pris un épi de blé, et je promenai la paille vacillante sur le front et le nez du dormeur. Troublé dans son repos, il se passa plusieurs fois la main sur le visage, et, dès qu’il était replongé dans le sommeil, je répétais mon jeu, sans qu’il pût comprendre d’où un taon pouvait venir dans cette saison. Enfin j’amenai les choses au point que, s’étant tout à fait réveillé, il se décida à se lever. Cependast j’avais perdu moi-même toute envie de dormir. Je sortis de la tente, et j’admirai, dans le tableau, qui avait peu changé, ce repos immense à côté du péril le plus grand et toujours imaginable ; et comme, dans ces moments, nous flottons tour à tour entre l’angoisse et l’espérance, l’inquiétude et la tranquillité, je fus de nouveau saisi d’horreur à la pensée que, si l’ennemi s’avisait alors de nous surprendre, pas un rayon de roue, pas un ossement humain n’échapperait.

Le jour naissant ramena les distractions. Plus d’un objet bizarre se présentait. Deux vieilles cantinières s’étaient affublées de plusieurs robes de soie de diverses couleurs. Elles en portaient même en châles et par-dessus encore en mantelets. Elles se pavanaient plaisamment dans ce bel équipage, et prétendaient avoir acquis par achat et par échange cette toilette de carnaval.

30 septembre 1792.

Toutes les voitures se mirent en marche de grand matin : cependant nous ne fîmes qu’une traite fort courte, car nous nous arrêtâmes à neuf heures entre Laval et Varge-Moulin. Gens et bêtes cherchaient le repos ; on n’avait pas établi de camp. L’armée survint et se posta sur une hauteur. Partout régnaient l’ordre et le silence. On pouvait très-bien remarquer, à diverses mesures de précaution, que tout danger n’était pas encore passé ; on faisait des reconnaissances ; on s’entretenait en secret avec