Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/114

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nous avons été vaincus non par les ennemis, mais par les éléments. »

II m’avait vu en passant au quartier général de Hans, et savait que j’avais suivi toute cette malheureuse expédition. Je lui fis une réponse convenable, et je lui exprimai mon chagrin de ce qu’après tant de souffrances et de fatigues, il avait eu un grand sujet d’inquiétude dans la maladie du prince son fils, à quoi nous avions pris une grande part à Sivry la nuit dernière. Il fut touché de ces paroles, car le prince était son enfant chéri, puis il nous le fit remarquer à quelque distance. Nous saluâmes aussi le prince. Le duc nous souhaita à tous patience et persévérance, et moi je lui souhaitai une santé inaltérable, parce qu’alors il ne lui manquerait rien pour nous sauver et sauver aussi la bonne cause. Il ne m’avait, à vrai dire, jamais aimé : j’avais dû en prendre mon parti ; il l’avait fait connaître : je pouvais le lui pardonner. Maintenant le malheur était devenu un doux médiateur, qui éveillait entre nous la sympathie.

Nous avions franchi la Meuse et pris la route qui mène des Pays-Bas à Verdun. Le temps était plus horrible que jamais. Nous campâmes près de Consenvoy. Le malaise, la souffrance, étaient au comble ; les tentes étaient trempées ; d’ailleurs point de toit, point d’abri. On ne savait où se mettre ; ma voiture ne reparaissait point, et je manquais des choses les plus nécessaires. Si l’on parvenait à se cacher sous une tente, il ne fallait pas espérer d’y trouver une couche. Comme on soupirait après la paille ! après un simple bois de litl et puis, au bout du compte, il ne restait qu’à s’étendre sur la terre humide et froide.

Mais j’avais déjà imaginé autrefois, en des cas pareils, un moyen pratique de supporter ces extrémités. Je restais sur mes pieds jusqu’à ce que mes genoux fussent brisés de fatigue ; ensuite je m’asseyais sur un pliant, et je persistais, jusqu’à ce qu’il me semblât que j’allais tomber : alors je me trouvais à merveille de toute place où l’on pouvait s’étendre de son long. Comme la faim sera toujours le meilleur assaisonnement, la fatigue est le plus excellent soporifique. .

Nous avions ainsi passé deux jours et deux nuits, quand le triste état de quelques malades profita aussi aux bien portants. Le valet de chambre du duc était atteint de la contagion ; le