Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/117

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10 octobre 1792.

Un jeune garçon, qui nous promenait dans la ville dévastée, nous demanda d’un air significatif si nous n’avions pas goûté des incomparables petits pâtés de Verdun, et là-dessus il nous mena chez le plus célèbre faiseur. Nous entrâmes dans une grande cour, autour de laquelle étaient des fours grands et petits, et, au milieu, une table et des bancs, pour qu’on pût manger la pâtisserie sortant du four. L’artiste survint, mais il nous exprima, dans les termes les plus vifs, son désespoir d’être hors d’état de nous servir, attendu qu’il manquait absolument de beurre. 11 nous montra les plus belles provisions de la plus belle farine de froment ; mais à quoi lui servaient-elles sans beurre et sans lait ? Il vanta son talent, l’approbation des habitants, des voyageurs, et se lamenta de manquer des choses les plus nécessaires, juste au moment où il trouvait l’occasion de se montrer à des étrangers si qualifiés et d’étendre sa renommée. Il nous conjura donc de lui procurer du beurre, et nous fit entendre que, si nous voulions montrer quelque sévérité, il s’en trouverait bien quelque part. Cependant il se tranquillisa pour le moment, sur notre promesse de lui faire venir plus tard du beurre de Jardin-Fontaine.

Notre jeune guide, qui continuait à courir la ville avec nous, paraissait se connaître aussi bien en jolis minois qu’en petits pâtés, et, comme nous lui demandâmes qui était une jeune personne admirablement belle, qui s’était avancée à la fenêtre d’une maison bien bâtie : c Ah ! s’écria-t-il, après nous l’avoir nommée, que cette jolie tête se tienne bien sur ses épaules ! C’est une de ces personnes qui ont offert des fleurs et des fruits au roi de Prusse. Sa famille croyait déjà remonter au pinacle ; mais la chance a tourné : à présent je ne changerais pas avec elle. » II parlait de cela avec une singulière tranquillité, comme d’une chose toute naturelle, qui ne pouvait être et qui ne serait pas autrement.

Mon domestique revint de Jardin-Fontaine, où il était allé saluer notre hôte et lui rendre sa lettre pour sa sœur de Paris. Le malin personnaf ?e avait reçu la lettre d’un air assez débon-