Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/135

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j’avais donc affronté tout cela avec eux. Je pus lui faire quelques récits sur Valmy et sur Hans, d’où il pouvait fort bien se faire l’idée du reste. Là-dessus il fit entendre avec enthousiasme et avec une chaleureuse sympathie des paroles que j’ose à peine reproduire et qui reviennent à ceci : C’était déjà une chose impardonnable de les avoir entraînés dans des calamités peut-être inouïes, eux dont le métier et le devoir étaient de les affronter ; mais que j’eusse dû les endurer aussi, moi (l’officier exprimait l’opinion favorable qu’il avait de ma personne et de mes ouvrages), c’était ce qu’il ne pouvait nullement approuver. Je lui présentai la chose du beau côté. Pour m’éprouver moi-même, j’avais enduré quelques semaines de fatigues avec mon prince (à qui je n’avais pas été tout à fait inutile) et avec tous nos vaillants guerriers ; mais il s’en tint à son dire, quoiqu’un bourgeois, qui s’était approché de nous, eût répliqué que je m’étais acquis des droits à la reconnaissance, en voulant tout voir par mes yeux. On pouvait désormais attendre de ma plume exercée un clair exposé des événements. Le vieux soldat n’admit pas davantage ce raisonnement et il s’écria : « N’en croyez rien, il est trop sage. Ce qu’il pourrait écrire, il ne le voudra pas, et ce qu’il voudrait écrire, il ne l’écrira pas. »

Au reste on n’avait guère envie de prêter l’oreille autour de soi ; l’affliction était sans bornes ; et, si nous éprouvons déjà un sentiment désagréable quand les gens heureux ne cessent pas de nous détailler leurs plaisirs, c’est une chose bien plus insupportable encore d’entendre continuellement ressasser un malheur que nous voudrions nous-mêmes bannir de notre pensée. Être chassé du pays par des ennemis qu’on haïssait, se voir contraint de traiter avec eux, de s’accommoder avec les hommes du Dix Août, tout cela était aussi dur pour l’esprit et pour le cœur que l’avaient été jusqu’alors les souffrances corporelles. On n’épargnait pas le général en chef, et la confiance qu’on avait si longtemps vouée à ce guerrier célèbre était perdue pour jamais.

Trêves, 28 octobre 1792.

Au moment où l’on se retrouvait sur la terre allemande et où l’on espérait sortir de la plus épouvantable confusion, on eut la